Résumé
Notre nez est le premier dépositaire de notre potentiel de reproduction. Aussi surprenante que cette affirmation puisse paraître, des recherches récentes ont révélé que les neurones qui contrôlent la fertilité ont une origine olfactive. Au cours de la vie fœtale précoce, ces cellules migrent du nez vers le cerveau, le long des nerfs qui conduisent nos sensations odorantes. Des conditions telles que celles du syndrome de Kallmann, dans lesquelles ces neurones sont emprisonnés dans le nez, conduisent à l’infertilité chez l’adulte.
Neurones nasaux : une histoire de sexe et le sens de l’ odorat
Dans notre vie quotidienne nous sommes dominés par l’évidence d’un lien puissant entre notre sexualité et le sens de l’odorat. Songez aux multimilliards des industries du parfum et des déodorants! Il apparaît que notre processus reproductif est manipulé non seulement par ces coûteuses odeurs artificielles mais aussi par des signaux chimiques naturels émanant de l’atmosphère et dénommés phéromones. Dans un récent article de ” Nature ” les scientifiques ont montré que des phéromones humaines peuvent altérer le moment de l’ovulation chez les femmes. Mais quelle est la base de cette association entre notre fertilité et le sens de l’odorat ? Pour trouver une explication nous devons examiner le développement des centres cérébraux qui régulent ces deux fonctions.
Le contrôle ultime du processus de la reproduction est exercé par des cellules nerveuses spécialisées (neurones neuroendocrines) dans le cerveau. Chez l’adulte ces cellules sont localisées dans une région située à la base du cerveau et dénommée l’hypothalamus. Ces neurones neuroendocrines synthétisent et libèrent un peptide de 10 acides aminés nommé ” gonadotrophin releasing hormone ” ou GnRH. Ainsi que son nom l’indique, le rôle du GnRH est de stimuler la libération des deux hormones gonadotropes- l’ hormone lutéinisante (LH) et l’hormone folliculo-stimulante (FSH)- par l’antéhypophyse, une glande endocrine située juste sous l’ hypothalamus. Les gonadotropines sont transportées par le flux sanguin aux ovaires de la femelle et aux testicules du mâle où elles régulent la production des hormones sexuelles, estrogènes et testostérone, et la production d’œufs matures et de sperme.
Figure : Le panneau central montre des neurones à GnRH dispersés avec leurs prolongements en forme de ruban, dans l’hypothalamus d’un adulte normal. Ces neurones sont absents dans l’hypothalamus de sujets porteurs du syndrome de Kallmann, car ils sont emprisonnés dans le nez dont ils sont originaires. Ces patients sont donc infertiles. Ceci est dû à de sévères anomalies dans le développement du bulbe olfactif, montré en bleu vif chez le sujet normal
(panneaux supérieurs : fœtus à gauche, adulte à droite) et chez le sujet porteur du syndrome de Kallman (panneaux inférieurs : fœtus à gauche, adulte à droite). A cause de cette anomalie les neurones à GnRH en développement ne peuvent pas migrer du nez (panneaux de gauche, ovale rouge) dans l’ hypothalamus (panneaux de gauche, ovale bleu). En même temps qu’ils sont infertiles les patients souffrant du syndrome de Kallmann n’ont pas de sens de l’odorat (panneaux de droite).
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Plusieurs milliers de neurones à GnRH sont embarqués dans ce long voyage
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Les neurones à GnRH sont uniques parmi les neurones neuroendocrines à ne pas avoir leur origine dans le cerveau. De façon très surprenante, il y a une décade, les scientifiques ont rapporté avoir observé des neurones à GnRH dans le nez en développement de l’embryon de souris. Actuellement il existe des évidences incontestables chez plusieurs espèces, y compris l’homme, que les neurones à GnRH ont une origine extra-cérébrale, dans la placode olfactive médiane du nez. Ils parviennent dans l’hypothalamus par migration dans le cerveau en développement, très tôt dans la vie fœtale. Plusieurs milliers de neurones à GnRH sont embarqués dans ce long parcours. Ils atteignent finalement leur destination hypothalamique environ au 16ème jour de gestation chez la souris et le rat, au 70ème jour chez la brebis et à la 16ème semaine de gestation chez l’homme.
Mais comment ces neurones accomplissent-ils ce parcours réussi jusqu’à l’hypothalamus ? Et comment savent-ils où s’arrêter ? Bien qu’il nous reste encore beaucoup à apprendre, nous savons que ces neurones migrent le long des axones du nerf terminal et du nerf vomeronasal au cours de leur invasion du cerveau. Les recherches actuelles tentent d’identifier l’ “étoile polaire ” chimique qui les guide vers leur destination finale. Le signal ” stop ” reste cependant encore très imprécis. Ainsi les neurones à GnRH adultes ne forment pas une masse compacte mais plutôt un ensemble diffus dans la ligne médiane, proche de la base de l’hypothalamus. D’ une manière ou d’ une autre, ces neurones sont capables de communiquer, de sorte que leur activité est coordonnée de façon à sécréter des bouffées (” pulse “) de GnRH. La nature intermittente de la libération du GnRH est critique pour une réponse appropriée des organes de la reproduction. Par conséquent, le patron de libération pulsatile régule l’activité de l’ovaire et du testicule et est responsable de la sécrétion des hormones de la reproduction.
Mais quel rapport entre le sexe et l’ odorat ?
En 1944 un généticien et psychiatre nommé Franz Kallmann a été intrigué par un groupe de patients qui présentaient à la fois une absence de développement sexuel et du sens de l’odorat. Des recherches ultérieures ont montré que chez ces patients le bulbe olfactif et ses connexions nerveuses avec les centres cérébraux de l’odorat étaient anormaux ou absents. L’absence des nerfs terminal et voméronasal qui forment un pont axonal entre le nez et le cerveau avait pour conséquence l’absence de migration des neurones à GnRH vers l’hypothalamus. Quand on examina le cerveau de patients atteint du syndrome de Kallmann on constata que les neurones à GnRH étaient emprisonnés dans le nez, bien loin du site où ils peuvent exercer leur influence sur la fonction de reproduction. Ces patients restaient donc dans un état sexuellement immature. Heureusement cet état infertile a pu être compensé. Des recherches scientifiques fondamentales, conduites par des neuroendocrinologistes, ont permis le développement de traitements cliniques qui restaurent la pleine fertilité de ces patients. Ces traitements impliquent l’emploi de petites pompes portables, programmables, qui libèrent du GnRH en séries de bouffées discrètes, à environ 2 heures d’intervalle Après plusieurs mois ces patients sont entré en puberté et on développé un physique d’adulte. Avec des traitements continus plusieurs d’entre eux ont pu éprouver la joie d’être parents.
Traduction:
Andrée Tixier-Vidal, UMR 7101 CNRS, Université Pierre et Marie Curie, Paris
Cette brève est produite par la British Society for Neuroendocrinology et peut être utilisée librement pour l’enseignement de la neuroendocrinologie et la communication vers le public.
©British Society for Neuroendocrinology et Société de Neuroendocrinologie pour la traduction.