Résumé
L’existence des horloges biologiques est restée longtemps le sujet d’un débat considérable. Cependant, les recherches actuelles ont largement confirmé qu’une horloge circadienne (fonctionnant sur 24 h) au sein de notre cerveau avait une grande influence sur nos horaires de sommeil, de repas, de prise de boisson, etc… Des altérations dans le bon fonctionnement de notre horloge circadienne compromettent l’organisation temporelle normale des sécrétions hormonales, du sommeil et de la température corporelle et peuvent affecter notre bien-être physique et moral.
L’identification récente des gènes d’horloge et des voies neuronales afférentes à l’horloge devrait favoriser la mise au point de stratégies efficaces pour traiter les dérèglements de la fonction circadienne.
Les grands moments de notre vie
Chaque jour, notre vie s’organise de manière régulière et répétitive de telle sorte que nous nous réveillons, travaillons, mangeons et dormons à peu près aux mêmes heures du jour ou de la nuit. De nombreux arguments expérimentaux accumulés au cours des 50 dernières années suggèrent qu’une telle organisation temporelle de notre comportement et de notre physiologie n’est pas simplement due à des influences socioculturelles, mais résulte au moins en partie de processus purement biologiques. L’existence d’une régulation temporelle interne (horloges biologiques) est maintenant bien acceptée. Des horloges biologiques sont retrouvées dans une large gamme de périodicité et leur mise à l’heure (ou synchronisation) par des facteurs environnementaux contrôle l’ajustement temporel de nos fonctions comportementales et physiologiques. Une horloge produisant une oscillation complète toutes les 24 h est appelée horloge circadienne. Ces horloges peuvent être mises à l’heure par des changements temporels de facteurs externes, de telle sorte qu’elles sont synchronisées (ou entraînées) par des signaux environnementaux récurrents, comme la variation quotidienne du niveau d’éclairement solaire. La valeur adaptative des horloges circadiennes résiderait dans leur capacité à anticiper de fortes demandes métaboliques de manière à ce que la physiologie de notre organisme soit préparée à l’avance pour y faire face plus efficacement. Ainsi, notre température interne commence à augmenter avant notre réveil et elle décline avant que nous allions nous coucher. Un mauvais ajustement entre l’heure de notre horloge circadienne et celle des facteurs environnementaux peut conduire à des symptômes de malaise (“jet-lag” en anglais) qui accompagnent les voyages rapides à travers plusieurs fuseaux horaires.
Légende: L’information relative au niveau de lumière ambiante est transmise directement vers l’horloge circadienne des noyaux suprachiasmatiques (SCN) via le tractus rétino-hypothalamique. Par des mécanismes de couplage et d’effecteurs, l’horloge des SCN influence l’organisation temporelle d’un large éventail de processus physiologiques et comportementaux.
Les horloges nous sont-elles bénéfiques ?
Chez les mammifères, l’horloge circadienne principale est localisée dans un petit groupe de neurones situés dans une région antérieure (hypothalamique) du cerveau, les noyaux suprachiasmatiques (SCN). Cette horloge est synchronisée par les changements journaliers du niveau d’éclairement, cette information lumineuse étant transmise directement aux SCN par l’intermédiaire de fibres neuronales originaires de la rétine. A son tour, l’horloge des SCN émet des signaux temporels, véhiculés par de nombreuses connexions neuronales directes et indirectes, qui régulent l’occurrence de nombreux processus physiologiques et comportementaux. Chez les rongeurs, la destruction des SCN perturbe non seulement les séquences temporelles de sécrétion de gonadostimulines (GnRH), la survenue de comportements reproducteurs appropriés, la fonction rythmique de la glande pinéale, mais aussi l’alternance de veille et de sommeil. Ainsi, l’horloge des SCN est impliquée dans le contrôle temporel de la pulsatilité neuroendocrine et de régions cérébrales sous-tendant des comportements complexes.
Chez l’humain, une détérioration des SCN, comme cela peut se produire en cas de tumeurs hypophysaires, perturbe fortement les cycles de veille et de sommeil, les fonctions neuroendocrines et, de manière inattendue, les facultés cognitives. Une horloge parfaitement fonctionnelle dans les SCN semble donc avoir une grande influence sur notre bien-être global.
Des signaux vers notre cerveau et notre corps ?
Des greffes de cellules suprachiasmatiques restaurent seulement des rythmes comportementaux. Dans une étude fascinante, Rae Silver et ses collègues de l’Université Columbia ont montré que des greffons de SCN peuvent communiquer une information temporelle à des structures-cibles via un facteur de couplage diffusible sans qu’il y ait le moindre contact neuronal avec le tissu hôte. L’identification de ce facteur diffusible sera une étape critique dans le développement de traitements pharmacologiques des troubles circadiens. Au contraire, les greffes d’horloges suprachiasmatiques ne restaurent pas les rythmes circadiens de corticostérone, de cortisol, ou de mélatonine. Ces rythmes neuroendocriniens semblent donc nécessiter des voies neuronales intactes en provenance des SCN, voies qui demandent à être mieux connues.
Qu’est-ce qui fait “tic-taquer” l’horloge circadienne ?
Au cours des deux dernières années, de grands progrès ont été réalisés dans la compréhension de la machinerie moléculaire responsable des oscillations circadiennes chez les mammifères. Les niveaux de gènes d’horloge potentiels, comme mPer et mTim, et leurs protéines respectives oscillent avec une période de 24 h dans les SCN des rongeurs. L’expression de ces gènes d’horloge potentiels suggère l’existence de mécanismes de rétroaction autorégulés, similaires à ceux contrôlant la synthèse ou la libération des neurohormones. De plus, ces protéines d’horloge régulent directement la transcription temporelle du gène codant l’arginine-vasopressine, principal neuropeptide de l’horloge des SCN. Des gènes homologues de mPer et mTim sont retrouvés des insectes aux mammifères, suggérant par là-même que les composants moléculaires des horloges circadiennes ont été conservés au cours de la phylogenèse.
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“…nos organismes pourraient être composés de millions d’horloges cellulaires… “
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Des horloges dans tous les tissus ?
Une découverte mémorable de Steve Reppert et ses associés a révélé que chaque neurone des SCN produit des rythmes circadiens de signaux électriques. Cette observation implique donc que les SCN sont en fait composés de plusieurs milliers d’horloges cellulaires, la sortie globale des SCN résultant ainsi de l’activité synchronisée de ces horloges multiples. L’identification de gènes d’horloge potentiels a conduit les scientifiques à rechercher des horloges dans d’autres parties du corps. Des chercheurs californiens et suisses ont respectivement mis en évidence des horloges cellulaires dans tout le corps des drosophiles et dans des fibroblastes de rat en culture. Ces résultats suggèrent que nos organismes pourraient être composés de millions d’horloges cellulaires dont l’activité serait, dans une certaine mesure, couplée aux signaux en provenance de l’horloge principale des SCN. Identifier ces signaux de sortie des SCN sera donc crucial pour développer des stratégies efficaces pour soigner les pathologies du cycle de veille et de sommeil.
Notre bien-être physique et moral pourrait ainsi dépendre de la synchronisation appropriée de ces horloges circadiennes avec notre environnement.
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Traduction:
Etienne Challet, CNRS UMR7168 – Université Louis Pasteur Strasbourg
Cette brève est produite par la British Society for Neuroendocrinology et peut être utilisée librement pour l’enseignement de la neuroendocrinologie et la communication vers le public.
©British Society for Neuroendocrinology et Société de Neuroendocrinologie pour la traduction.