Dr Catherine Llorens-Cortes, Laboratoire des Neuropeptides Centraux et des Fonctions cardiaques et de la balance hydrique, INSERM U1050, Collège de France, Paris, France Dr Françoise Moos, Institut de neurosciences cellulaire et intégrative, Université de Strasbourg, France
Résumé
La rétention d’eau dans le rein est un phénomène actif contrôlé par un neuropeptide, la vasopressine. En revanche, l’excrétion de l’eau a été longtemps considérée comme un phénomène passif, résultant du blocage de la libération de vasopressine. Ce concept a été récemment révisé par la découverte d’un peptide aquarétique, l’apéline. Présente dans la circulation sanguine et en périphérie, l’apéline est également produite et coexprimée avec la vasopressine par les neurones hypothalamiques projetant dans la neurohypophyse.
Conserver ou éliminer l’eau
Chez l’adulte sain et dans plusieurs modèles animaux, la pression osmotique des fluides corporels est maintenue dans une gamme remarquablement étroite. L’équilibre hydrique de l’organisme est contrôlé centralement, et dépend de circuits neuronaux exprimant des osmorécepteurs très sensibles situés dans plusieurs régions du cerveau, y compris les neurones endocrines localisés dans les noyaux supraoptique et paraventriculaire de l’hypothalamus. Ces circuits neuronaux osmosensibles convertissent les petits changements de la concentration plasmatique en solutés (osmolarité) en un signal électrique transmis aux neurones hypothalamiques, derniers chaînons de la voie osmosensible. Ces signaux influencent la libération dans le sang de deux neuropeptides, la vasopressine et l’apéline, qui contrôlent de façon opposée l’excrétion de l’eau au niveau rénal.
Fonction de type Yin-Yang des doubles neurones à vasopressine (VP, violet) et apéline (Ap, vert).
Les cibles
Les deux neuropeptides agissent à la fois sur des cibles centrales et périphériques pour exercer leurs actions biologiques opposées. Dans le cerveau des rongeurs, la vasopressine libérée localement au sein des noyaux supraoptique et paraventriculaire de l’hypothalamus, exerce un rétrocontrôle autocrine sur ses propres neurones. En particulier, elle facilite l’expression d’un patron de décharge électrique phasique connu pour être le plus efficace pour libérer la vasopressine par les terminaisons axonales de la neurohypophyse. Cet effet est crucial lors d’une déshydratation, alors que la demande hormonale de vasopressine est élevée et doit être soutenue pendant des heures, jusqu’à ce que l’osmolarité recouvre des valeurs basales. De son côté, l’apéline, injectée centralement chez des rattes allaitantes, inhibe l’activité électrique phasique de ces mêmes neurones à vasopressine, réduisant ainsi la libération de vasopressine dans la circulation sanguine et augmentant la diurèse aqueuse.
“…vasopressine et apéline pourraient aussi agir de façon opposée sur l’excrétion de l’eau et au niveau rénal…”
Dans le rein, la vasopressine, en agissant sur ses récepteurs (V2), active des canaux perméables à l’eau, les aquaporines-2 (AQP2) en facilitant leur insertion à la membrane apicale des canaux collecteurs. Cette translocation permet la réabsorption de l’eau à partir de la pro-urine et par voie de conséquence, la concentration et la réduction du volume urinaire. Les récepteurs de l’apéline ont également été détectés dans les canaux collecteurs qui expriment les récepteurs V2. Chez des rattes allaitantes, l’injection intraveineuse d’apéline augmente la diurèse aqueuse, suggérant que l’apéline, en agissant sur ses récepteurs rénaux, contrecarre les effets stimulateurs de la vasopressine sur l’activation des AQP2. Ainsi, en ajustant la sortie de l’eau pour contrer les changements de la concentration plasmatique en solutés, la vasopressine et l’apéline pourraient empêcher l’osmolarité de dévier de plus de quelques pour cent du niveau basal moyen.
Une question d’équilibre
Parce que la vasopressine et l’apéline coexistent dans les mêmes neurones, on peut se demander comment ces deux neuropeptides sont régulés pour maintenir l’équilibre hydrique de l’organisme. En fait, la vasopressine et l’apéline ne sont pas seulement synthétisées à partir de gènes différents dans les neurones magnocellulaires, mais se retrouvent en grande partie dans des granules neurosécrétoires, de taille et de distribution distinctes. Ceci suggère une libération différentielle de la vasopressine et / ou de l’apéline en fonction des conditions d’osmolarité, à partir de pools distincts au sein des mêmes neurones. En effet, lors d’une privation d’eau ou déshydratation, les neurones sont fortement activés (renforcement de l’activité phasique) et la vasopressine est libérée dans la circulation sanguine plus rapidement qu’elle n’est synthétisée. Il en résulte une déplétion des réserves de vasopressine dans le soma, alors que l’apéline s’accumule dans les neurones plutôt que d’être libérée. En revanche, lors d’une surcharge aqueuse, les neurones sont inhibés, l’activité électrique diminue, entraînant une chute de la libération de vasopressine et l’accumulation de vasopressine dans le soma. A l’inverse, la libération d’apéline dans le sang est augmentée rapidement. Ainsi, le contenu neuronal en apéline de même que les taux plasmatiques sont régulés par les stimuli osmotiques en sens inverse de la vasopressine.
Yin-Yang
L’ensemble de ces données permet de proposer un nouveau concept physiologique d’une double potentialité pour des neurones endocrines qui, selon leur degré d’activation et/ou d’inhibition, vont assurer de façon dynamique des fonctions physiologiques opposées en conformité avec la demande hormonale, grâce à la libération sélective de l’un ou l’autre des deux neuropeptides coexprimés. Ainsi, lors des changements d’osmolarité plasmatique, les neurones endocrines des noyaux supraoptique et paraventriculaire ont une potentialité fonctionnelle double et opposée de type Yin-Yang. Ces deux fonctions sont interconnectées et interdépendantes, et n’existent qu’en relation réciproque avec l’autre. Alors que la vasopressine joue un rôle majeur dans la rétention d’eau pour éviter une hyperosmolarité délétère, conséquence d’une concentration élevée en sodium dans le plasma (hypernatrémie), l’apéline peut jouer un rôle crucial dans le cas de troubles hyponatrémiques résultant d’états hypoosmolaires.
Parce que les changements de concentration plasmatique de vasopressine et d’apéline reflètent les changements d’osmolarité, l’analyse des relations entre ces paramètres pourrait révéler de nouvelles classifications des étiologies multiples des états hypoosmolaires résultant d’une altération de la dilution ou de la concentration de l’urine chez les patients. Cliniquement, il serait intéressant de développer des agonistes non-peptidiques des récepteurs de l’apéline car ils pourraient constituer des outils thérapeutiques alternatifs ou complémentaires des antagonistes des récepteurs V2 pour le traitement de la rétention hydrique et / ou des troubles hyponatrémiques. De plus, dans la mesure où l’activation des récepteurs de l’apéline induit non seulement une diurèse aqueuse, mais aussi une augmentation de la contractilité cardiaque tout en diminuant les résistances périphériques, le récepteur de l’apéline pourrait constituer une cible thérapeutique potentielle pour le traitement de l’insuffisance cardiaque.
Quelques références
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