Une découverte non programmée pour la programmation neurodéveloppementale
Résumé
La découverte de la leptine a révolutionné la recherche sur l’obésité. Cependant, les applications thérapeutiques de cette découverte restent relativement modestes même si des progrès pourraient découler de traitements conjugués avec d’autres agents médicamenteux ou des modifications comportementales. La découverte récente du rôle de la leptine sur le développement du système nerveux permet d’envisager des pistes thérapeutiques nouvelles basées sur ce rôle inattendu.
L’insaisissable lipostat
En 1994, le clonage du gène ob (pour obèse) ou leptine (de leptos, mince en grec) révolutionna le milieu de la recherche sur l’obésité. La leptine apparaissait comme la première hormone adipocytaire du lipostat, un concept imaginé depuis longtemps par les physiologistes comme système intrahypothalamique régulateur des réserves de graisses corporelles, à partir de la reconnaissance de produits synthétisés et libérés par les adipocytes. Le potentiel thérapeutique de la découverte de la leptine était clair puisque 1) l’absence de leptine, suite à la mutation du gène ob chez la souris ob/ob, induisait une obésité massive et 2) l’administration de leptine de synthèse à ces souris bloquait leur prise alimentaire excessive et l’augmentation de leur poids corporel. Rapidement, les récepteurs de la leptine furent visualisés dans les régions hypothalamiques connues depuis le début du vingtième siècle et depuis la description du syndrome adiposo-génital de Babinsky-Frohlich pour participer à la régulation de la balance énergétique (noyaux arqué, infundibulaire, ventromédian, dorsomédian, paraventriculaire).
Actions développementale et métabolique de la leptine dans la période post-natale.
Potentiel thérapeutique: l’Homme n’est pas une souris !
La découverte de rares cas de mutations induisant une perte de fonction du gène de la leptine, analogues à celle des souris ob/ob, chez des sujets présentant une obésité morbide précoce démontra l’importance de l’hormone pour la régulation du poids corporel chez l’Homme. Pour ces patients, le traitement par la leptine s’avère remarquablement efficace, leur permettant de retrouver une vie normale.
Mais les espoirs initiaux pour combattre l’épidémie d’obésité dans notre espèce furent rapidement déçus lorsqu’on découvrit que les taux circulants de leptine étaient élevés dans la plupart des cas d’obésité; même si ces taux sont relativement variables selon la composition en graisse ou l’index de masse corporelle (IMC). En revanche, si pour l’immense majorité des patients obèses non-déficients en leptine, les essais cliniques ne montrent pas d’effet significatif par rapport au placebo (ou d’effet supplémentaire par rapport à un régime hypocalorique) un espoir subsiste cependant dans des états de balance énergétique négative, liés à une déficience relative pour l’hormone, comme la lipodystrophie. Dans ce cas, un traitement substitutif avec de la leptine exogène améliore le contrôle de la glycémie et la dyslipidémie.
Malgré ce qu’on peut considérer aujourd’hui comme l’échec de la leptine à remplir ses promesses initales (ou plutôt les espoirs mis en elle) dans le traitement de l’obésité, il ne fait aucun doute que sa découverte a revitalisée la recherche sur l’obésité en général.
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…”Un faisceau d’arguments suggère un rôle actif pour la leptine dans le développement du cerveau”…
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Un role neurodéveloppemental inattendu…
Le concept de programmation développementale découle de l’observation que, pendant les phases critiques du développement, les conditions environnementales influencent durablement les fonctions physiologiques, métaboliques et comportementales chez l’adulte. Le cerveau est particulièrement sensible à l’environnement nutritionnel pendant les phases précoces de développement lorsque les réseaux neuronaux se mettent en place. Un faisceau d’arguments suggère un rôle actif de la leptine dans le câblage précoce des circuits neuronaux intrahypothalamiques qui régulent la balance énergétique.
Les récepteurs de la leptine sont très fortement exprimés dans le cerveau des rongeurs dès la vie embryonnaire et on observe un pic de leptine circulante, indépendant de la masse grasse, juste après la naissance chez le rat et la souris. A cet âge précoce, ce pic de leptine ne semble pas influencer le comportement alimentaire et les réponses métaboliques, un rôle qui n’apparaît qu’à partir du sevrage chez les rongeurs. En revanche, il semble jouer un rôle neurotrophe. Les souris ob/ob, déficientes en leptine, présentent un cerveau plus petit que leurs congénères sauvages et les projections neuronales du noyau arqué vers le noyau paraventriculaire y sont très peu nombreuses. Un traitement substitutif à la leptine des souris ob/ob, reproduisant le pic de leptine précoce, permet le rétablissement des projections entre noyau arqué et paraventriculaire et la récupération du poids du cerveau; ce qui n’est pas observé si la leptine est administrée au stade adulte. Parallèlement à l’effet sur les connexions neuronales qui est également observé in vitro, le traitement précoce à la leptine empêche les animaux de devenir obèse.
Perspective
Bien trop souvent, les articles scientifiques dans la grande presse concluent que les retombées thérapeutiques d’une découverte ne seront pas observées avant une dizaine d’années. Quinze ans se sont écoulés depuis que la leptine a quitté les paillasses des laboratoires pour le lit des patients et ses nouveaux effets neurotropes suscitent l’espoir. On peut désormais envisager des interventions en période néonatale pour une vie adulte plus saine.
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Traduction :
Jacques Epelbaum, Centre de Psychiatrie & Neuroscience, UMR 894 Inserm-Université Paris Descartes, Paris France
Cette brève est produite par la British Society for Neuroendocrinology et peut être utilisée librement pour l’enseignement de la neuroendocrinologie et la communication vers le public.
©British Society for Neuroendocrinology et Société de Neuroendocrinologie pour la traduction.