Résumé
Les œstrogènes ont un impact dans toutes les régions de notre corps et ils ont en particulier un rôle structurant de première importance au cours du développement y compris sur la différenciation sexuelle du cerveau. On s’est de ce fait inquiété de savoir si les œstrogènes environnementaux -ou xéno-œstrogènes- ne pouvaient pas affecter ces processus. Cependant, si on considère l’expérience acquise à partir des études sur la reproduction mâle, la plupart des xéno-œstrogènes auraient une activité trop faible pour présenter une telle menace. A l’inverse, puisque de nouvelles données suggèrent que les œstrogènes ont des effets bénéfiques au niveau du cerveau, les xéno-œstrogènes environnementaux ne pourraient-ils pas, eux aussi, avoir des effets vraiment positifs pour nous ?
Des horizons nouveaux après la tempête
On a considéré pendant une décennie ou plus que les xéno-œstrogènes pouvaient avoir des effets délétères sur toute une série de processus impliqués dans développement normal de la fonction de reproduction, et avoir par la suite des conséquences fonctionnelles irréversibles. Durant cette période, s’appuyant sur des études menées sur l’animal ou in vitro sur des cellules isolées, l’opinion s’est polarisée sur la question de savoir si l’exposition de l’homme à de telles substances pouvait représenter un véritable risque. Par delà cette question, la saga des xéno-œstrogènes s’est avérée être une force de propulsion énorme pour la physiologie des œstrogènes qui s’est retrouvée ainsi au plus haut de l’échelle d’intérêt en médecine. Ainsi, l’inquiétude suscitée par les xéno-œstrogènes venant s’ajouter à la découverte d’un second récepteur des œstrogènes (ERbeta) ainsi qu’à la génération de lignées de souris invalidées pour les gènes des récepteurs des œstrogènes ERalpha, ERbeta et bien d’autres gènes encore, a provoqué une véritable tempête de données nouvelles qui ont permis de redéfinir les horizons dans le domaine de la médecine et de la biologie des œstrogènes. De la même manière que les études sur les gonades et le tractus de reproduction avaient, de façon bien compréhensible, permis d’ouvrir la voie à ces recherches, à présent c’est au niveau central que les nouveaux horizons se déplacent, les plus passionnants ayant trait aux effets des œstrogènes dans le cerveau. L’émulation est probablement plus forte pour ceux d’entre nous qui voient sous un angle humoristique les différences innées, particulièrement bien tranchées entre individus des deux sexes, en matière d’attitudes, d’aptitudes ou de comportement. L’abondance de données nouvelles relatives aux effets des œstrogènes sur la survie, la prolifération et la croissance de neurones spécifiques va de pair avec la démonstration que ces mêmes hormones ont, chez la femme, un impact réel sur le comportement, la dépression et la pensée cognitive, avec les implications médicales et thérapeutiques considérables qui s’y rattachent.
Le développement neuronal – Une question de cablage ?
Compte tenu de ces nouvelles données, est-ce qu’on ne devrait pas être plus attentif quant aux effets des xéno-œstrogènes ? Si ces derniers étaient en capacité d’affecter le développement du cerveau et le comportement, alors ils pourraient proprement reprogrammer un individu. La ” différenciation sexuelle du cerveau ” est un évènement fondamental à l’origine de la plupart des différences non physiques qui distinguent un homme d’une femme, dans une gamme allant depuis le comportement sexuel jusqu’aux capacités de communication et d’intégration spatio-visuelle. Cela inclut aussi les différences dans le cablage des neurones spécifiant le profil de sécrétion, soit mâle, soit femelle, des hormones gonadotropes LH et FSH. Dans l’espèce humaine, ce processus prend place au cours de la vie fœtale cependant que chez les rongeurs il a lieu essentiellement après la naissance. Une perturbation de la production ou de l’action des androgènes ou des œstrogènes, de même que la sur-amplification de leur action au cours de ces périodes critiques de programmation, peuvent affecter le niveau de sexualisation du cerveau. Dans ces conditions les xéno-œstrogènes ne pourraient-ils pas de même altérer la différenciation sexuelle ? Il n’est pas facile de répondre à cette question. Nous savons tous combien le comportement normal de l’homme de même que celui de la femme peuvent être sujets à variation ! On peut trouver matière à se rassurer (au moins indirectement) au travers de deux types d’informations en provenance, l’une de la recherche d’influences des xéno-œstrogènes sur le développement du système de reproduction mâle, l’autre du progrès des connaissances concernant le mode d’action des androgènes et des œstrogènes sur le développement du cerveau.
———————-
” …il semble que le développement cérébral échappe aux effets délétères des xéno-œstrogènes… “
———————-
D’abord, il est clair qu’à de rares exceptions près, c’est uniquement à des doses très élevées que les formes les plus puissantes d’œstrogènes environnementaux ou même synthétiques peuvent induire une ” reprogrammation ” du tractus de reproduction mâle au cours du développement. Une telle reprogrammation lorsqu’elle se produit implique la suppression de l’action des androgènes, principalement via la dégradation de leur récepteur, ce qui n’arrive qu’après exposition à des doses importantes d’un œstrogène puissant (non-environnemental). Ensuite, la modulation androgénique et œstrogénique du développement cérébral/neuronal semble essentiellement provenir d’une production locale d’œstradiol ou de dihydrotestostérone, au niveau même de leurs sites d’action à l’intérieur du cerveau, cette production se faisant par conversion de la testostérone circulante d’origine gonadique. La perturbation de ces processus locaux au moyen d’hormones véhiculées par la voie systémique nécessite forcément pour ces dernières qu’elles aient une concentration et/ou une activité biologique très élevées. Sur la base de ces deux types de données, il semble qu’on puisse dire que le développement cérébral échappe aux effets délétères des xéno-œstrogènes pour peu que ces derniers ne soient pas présents en concentrations énormes, peu vraisemblables. Il y a, bien évidemment, matière à discussion ; ainsi le cerveau ne pourrait-il pas abriter des zones considérablement plus sensibles aux œstrogènes que celles qui sont impliquées dans la reproduction mâle ? Et qu’en est-il de la possibilité que des substances chimiques puissent affecter l’activité des enzymes réglant la production locale des stéroïdes sexuels dans le cerveau ?
Le régime aux protéines de soja
Il existe aussi une exception de taille aux arguments développés ci-dessus, à savoir la situation dans laquelle, avec des régimes riches en protéines de soja qui sont traditionnels dans beaucoup de pays orientaux, ou bien avec la consommation de suppléments de soja/isoflavone courante dans les pays occidentaux, l’homme se retrouve exposé à des niveaux extrêmement élevés d’isoflavénoïdes tels que la génistéine. La génistéine est un œstrogène modérément efficace interagissant préférentiellement avec le récepteur ERbeta, qui est exprimé dans diverses aires cérébrales. De toute évidence cependant, l’expérimentation sur animal de laboratoire, tout comme l’observation minutieuse de nos voisins orientaux, suggèrent qu’il n’y a aucune conséquence néfaste de l’ingestion de génistéine sur la sexualisation du cerveau.
Quel message retirer ?
Pourquoi ne pas terminer tout de même sur une note positive? Le débat autour des xéno-œstrogènes a dans son ensemble toujours eu des connotations négatives, cependant, ces substances ne pourraient-elles pas avoir des effets positifs ? Il y a de plus en plus de preuves que les œstrogènes exercent d’importants effets ” neuroprotecteurs “, et ces derniers pourraient impliquer la stimulation des défenses anti-oxydantes. Il existe une abondance de preuves en faveur de la capacité de la génistéine et/ou d’autres composés du soja à activer, à des doses compatibles avec les conditions d’alimentation courantes, les mêmes mécanismes que les œstrogènes et ce dans divers tissus de l’organisme. Les œstrogènes activent ces voies à des concentrations extrêmement faibles, assurément de loin inférieures à celles qui sont capables de causer un développement aberrant du système de reproduction. Cela ne voudrait-il pas signifier que l’exposition aux xéno-œstrogènes pourrait vraiment avoir des effets favorables pour nous ?
Traduction :
Raymond Counis, UMR 7079 CNRS Université Pierre et marie Curie, Paris
Cette brève est produite par la British Society for Neuroendocrinology et peut être utilisée librement pour l’enseignement de la neuroendocrinologie et la communication vers le public.
©British Society for Neuroendocrinology et Société de Neuroendocrinologie pour la traduction.