Résumé
La recherche des dernières décennies a mis en évidence que les cônes et les bâtonnets ne sont pas les seuls photorécepteurs de l’œil. Il existe également une population de cellules ganglionnaires sensibles à la lumière qui agissent telles des détecteurs de luminosité et régulent de nombreuses fonctions photo sensorielles telles que les rythmes circadiens, la synthèse de mélatonine, la taille de la pupille ou encore le comportement. Ces récepteurs seraient même capables de réguler notre humeur et notre sentiment de bien être.
Un changement de focale
Jusqu’à récemment, le débat sur l’existence chez l’homme ou les mammifères de nouveaux photorécepteurs suscitait la perplexité ou l’hostilité de la part de la plupart des chercheurs. Il semblait impossible qu’une chose aussi importante que l’existence d’un autre groupe de neurones photosensibles ait pu être ignorée jusque là. L’approche rationnelle consistait à dire que les yeux avaient été le sujet d’investigations sérieuses depuis plus de 150 ans et que nous avions compris en gros comment cet organe fonctionnait. Les photorécepteurs cônes et bâtonnets de la rétine externe transmettent le signal lumineux. Puis les cellules de la rétine interne génèrent les stades initiaux du traitement signal visuel. Enfin, ce même signal topographiquement structuré voyage via le nerf optique pour atteindre les structures cérébrales où il subit un traitement plus poussé. Toutes les réponses à la lumière semblaient soumises à ce procédé. Cependant, l’étude de la régulation des rythmes circadiens par la lumière a conduit à la découverte d’une nouvelle forme d’intégration du signal lumineux qui n’a que très peu de rapport avec la formation des images.
Lumière, temps et nouveaux récepteurs
Notre système circadien et notre comportement aux diverses demandes de changement d’activité et de repos sont synchronisés (entraînés) par le changement quotidien de notre apport en lumière (irradiance) de l’aurore au crépuscule. Le ‘jet lag’ est un exemple classique d’un décalage entre notre rythme biologique et notre environnement. Nous récupérons du décalage horaire grâce à l’exposition à la lumière dans le nouveau fuseau horaire. Notre ‘pace maker’ ou horloge circadienne, réside dans le noyau suprachiasmatique de l’hypothalamus (figure 1). La destruction de cette petite paire de noyaux conduit à l’abolition de la rythmicité sur 24 h. Les informations lumineuses atteignent le système nerveux central via une voie spécifique (la voie rétino-hypothalamique) qui a son origine dans la rétine. La perte des yeux chez les mammifères, humains y compris, confirme que cette stimulation par la lumière prend naissance dans l’œil. Cependant, les expériences menées dans les années 1990 chez les souris et les humains souffrant de maladies rétiniennes héréditaires, donnent des résultats surprenants. Malgré la perte de la plupart des cônes et des bâtonnets et l’absence de perception lumineuse consciente, la réponse circadienne à l’alternance lumière /obscurité se poursuit. Il semble extraordinaire que la sensibilité de notre rythme circadien à la lumière persiste en l’absence de cônes ou de bâtonnets ou de perceptions visuelles. Cette étude a édifié les bases de la création d’une souris transgénique (rd/rd cl) ne possédant ni cônes ni bâtonnets fonctionnels. Malgré la disparition des photorécepteurs classiques, le rythme circadien et la régulation de la production de mélatonine par la glande pinéale demeuraient intacts chez ces animaux. Il devait donc exister un autre système de capture de la lumière dans l’œil ! De plus, l’étude de ces souris rd/rd cl a montré que bien d’autres fonctions et comportements liés à la luminosité environnante étaient intacts ou encore actifs à un certain niveau en l’absence des photorécepteurs classiques. Ceci laisse à penser qu’il existe un nouveau type de photorécepteurs qui contribuerait à bien plus de fonctions physiologiques du mammifère qu’initialement suspecté. Par exemple, le niveau lumineux régule le sommeil, la sécrétion du cortisol, le rythme cardiaque, la vigilance, la performance et l’humeur. Ces réponses à l’irradiance pourraient-elles être influencées par d’autres cellules que les cônes ou les bâtonnets ?
Figure 1 : Image des noyaux suprachiasmatiques (SCN) chez la souris avec les neurones colorés en vert et jaune et les fibres nerveuses en rouge.
OC : Chiasma optique.
En voyant le bleu
La localisation de ces cellules, non-cônes, non-bâtonnets, est fondée sur plusieurs observations. L’approche la plus convaincante est celle utilisée chez les souris rd/rd en combinaison avec l’étude les flux calciques dans les neurones. Environ 1% des cellules ganglionnaires répondent directement à la stimulation lumineuse (figure 2). Une analyse plus poussée révèle qu’il existe un réseau hétérogène de cellules intrinsèques sensibles à la lumière dans la couche des cellules ganglionnaires. Ces cellules utilisent un pigment, jusque là inconnu, basé sur l’opsin/vitamine A avec un pic de photosensibilité dans le bleu à 480nm.
De plus, d’autres études laissent à penser que nous possédons le même pigment que la souris, bien que le gène codant n’ait pas encore été identifié.
Figure 2 : Imagerie calcique suite à l’illumination directe des cellules ganglionnaires de la rétine chez la souris rd/rd cl dépourvue de cônes et de bâtonnets. La séquence d’images (1-11) montre l’augmentation du calcium intracellulaire suite à la stimulation lumineuse observée à l’aide d’un indicateur fluorescent du calcium. L’icône F montre l’intensité de fluorescence, avant, pendant, et après la stimulation lumineuse (barre).
Vision future
L’œil a toujours été considéré comme étant la partie du système nerveux central la mieux explorée et dont les fonctions essentielles avaient été bien comprises. La découverte d’un nouveau système photosensible nous prouve que nous avons encore beaucoup de choses à apprendre sur l’œil. Une grande partie de cette information aura une implication clinique, au moins sur la classification de la cécité. La perte de cônes et des bâtonnets ne veut pas nécessairement dire que l’individu est “aveugle-circadien “. De plus, il pourrait également exister des situations dans lesquelles le nouveau système de photorécepteurs ait disparu. Dans ce cas, les malades pourraient être “aveugles circadiens” avec des rythmes dérégulés mais auraient toujours un système de détection des images intact. Les ophtalmologistes commencent seulement à cerner les conséquences de la perte de la vue. Un état qui prive l’individu de ses capacités à percevoir à la fois l’espace et le temps.
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Traduction : Kristel Averous et William Rostène, INSERM U732, Paris
Cette brève est produite par la British Society for Neuroendocrinology et peut être utilisée librement pour l’enseignement de la neuroendocrinologie et la communication vers le public.
©British Society for Neuroendocrinology et Société de Neuroendocrinologie pour la traduction.