Résumé
Les informations que les humains reçoivent par le nez sont rarement d’importance vitale, et, bien que les parfumeurs et les œnologues aient développé un vaste vocabulaire pour les décrire, la plupart d’entre nous classent seulement les odeurs en agréables ou déplaisantes. Il n’est donc pas surprenant que la majorité des gènes de nos récepteurs soient des pseudogènes non fonctionnels. Par contre, les rongeurs possèdent non seulement un large répertoire de gènes olfactifs (1000 à 1500), mais également deux ensembles de récepteurs dans l’organe voméronasal (OVN), qui est spécialisé dans la réception des phéromones.
Des mâles inconnus…
La biologie de la reproduction des rongeurs est sous l’influence de signaux chimiques, tant pour ses mécanismes endocriniens (phéromones d’initiation) que pour les comportements associés (phéromones de signalisation). Chez la femelle, les phéromones d’initiation contrôlent l’oestrus et déclenchent la puberté.
Un cas très particulier de contrôle de l’oestrus, observé chez la souris et chez quelques autres espèces de rongeurs, est le blocage olfactif de la gestation. Il a été décrit pour la première fois en 1959 par Hilda Bruce, qui a découvert que des femelles récemment accouplées revenaient en oestrus si elles étaient placées avec des mâles inconnus dans les 72 heures suivant l’accouplement initial. Ce blocage de la gestation ne peut survenir après l’implantation de l’embryon, ce qui suggère que l’action des phéromones mâles d’initiation n’est effective que sur l’état hormonal préimplantatoire.
Dans le blocage de la gestation comme dans l’induction de l’oestrus, l’évènement endocrinien initial est une chute du taux de prolactine. Dans le cas de la gestation, la prolactine est bien responsable, car si les femelles ne sont exposées aux phéromones d’initiation que pendant la durée des pics de prolactine qui suivent l’accouplement, la gestation est effectivement bloquée.
Où agissent les phéromones?
Parallèlement aux mécanismes normaux de l’induction de l’oestrus, tous les effets des phéromones passent par l’organe voméronasal (OVN), une structure accessoire du nez. Des lésions de cet organe ou de son centre nerveux, le bulbe olfactif accessoire (BOA), inhibent l’induction de l’anoestrus par les odeurs femelles, celle de l’oestrus par les odeurs mâles, ainsi que la mise en place de la puberté précoce ou le blocage de la gestation. Ces phéromones sont des peptides non volatils : les femelles doivent donc être en contact avec de l’urine mâle pour que les récepteurs sensitifs de leur OVN soient stimulés. L’information provenant des phéromones est relayée depuis le BOA jusqu’à un groupe de neurones situés dans le noyau arqué de l’hypothalamus (à la base du cerveau), qui sécrète de la dopamine, un puissant régulateur de la production de prolactine par l’adénohypophyse.
Légende: Ce schéma montre par quelle voie les phéromones mâles provoquent la libération de dopamine dans les vaisseaux du système-porte hypophysaire. La dopamine inhibe la libération de prolactine par l’hypophyse, privant ainsi l’ovaire de son support lutéotrophe. Les niveaux de progestérone diminuent donc, permettant aux taux d’oestrogènes de s’élever pour instaurer les conditions de l’oestrus (VNO : organe voméronasal).
Pourquoi pas tous les mâles?
Les mécanismes de blocage de la gestation par les phéromones ont beaucoup de points communs avec ceux du déclenchement de la puberté précoce ou de l’induction de l’oestrus chez les femelles en groupe. Puisque ces phénomènes interviennent en réponse aux phéromones urinaires de n’importe quel mâle, la question se pose de savoir pourquoi la gestation n’est bloquée que par les phéromones de mâles inconnus. Il semble exister des mécanismes de reconnaissance du signal phéromonal d’un mâle familier, et plusieurs aspects qui caractérisent les bases neurologiques de cette mémoire olfactive sont à présent élucidés.
On sait que cette mémoire s’établit pendant une période critique qui suit l’accouplement. C’est une fonction du système olfactif accessoire voméronasal, dépendant des voies nerveuses du BOA qui utilisent comme neurotransmetteur la noradrénaline. Plusieurs études ont montré que la structure assez primitive du BOA est le site d’une plasticité synaptique importante pour l’identification et l’enregistrement des phéromones du mâle qui s’est accouplé.
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“cette mémoire s’établit pendant une période critique qui suit l’accouplement”
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Des phéromones humaines ?
Le développement du néocortex au cours de l’évolution permet un traitement très rapide des informations provenant simultanément de nombreuses voies sensorielles, et, de ce fait, le comportement humain n’est pas sous le contrôle exclusif d’un sens particulier. Il semble ainsi peu vraisemblable qu’un comportement significatif ou une régulation endocrine soient, chez l’homme, régis par les phéromones. Cependant, l’existence de phéromones humaines a été soutenue sur la base d’une tendance à la synchronisation des cycles féminins dans les groupes, ainsi que sur celle d’un OVN humain fonctionnel.
L’OVN existe chez le foetus humain, mais des études de génétique moléculaire récentes indiquent que la sensibilité olfactive humaine est faible par rapport à celle d’autres espèces (72% des gènes du récepteur olfactif humain sont des pseudogènes, et seuls des pseudogènes ont été identifiés pour les récepteurs de l’OVN humain). Les études anatomiques confortent ce point de vue. Un travail sur 564 adultes a permis de localiser un vestibule voméronasal bilatéral chez seulement 8% des sujets. Unilatéral chez 22% d’entre eux, il est absent dans 70% des cas. Des investigations par biopsie et autopsie n’ont pas permis d’identifier de neurones dans l’OVN humain adulte, malgré l’utilisation de marqueurs tant olfactifs que nerveux. Cela est confirmé par l’absence de BOA chez l’homme, le singe et les primates de l’Ancien Monde. Par conséquent, il n’existe pas de preuve évidente pour un OVN humain qui serait fonctionnel.
Néanmoins, le système olfactif humain principal pourrait assurer les fonctions de l’OVN en répondant aux signaux odorants ayant une signification comportementale. Il existe une entrée massive d’informations olfactives vers le cortex préfrontal, et, chez l’homme, cette zone du cerveau est guidée, pour certains choix décisionnels, par des signaux émotionnels. Nous aurions donc tendance à identifier de telles décisions comme ” venant des tripes “, mais peut-être nos ” tripes ” arrivent-elles en second, après notre nez…
Traduction : André Calas et Evelyne Vila-Porcile, CNRS UMR7101, Université Pierre et Marie Curie, Paris
Cette brève est produite par la British Society for Neuroendocrinology et peut être utilisée librement pour l’enseignement de la neuroendocrinologie et la communication vers le public.
©British Society for Neuroendocrinology et Société de Neuroendocrinologie pour la traduction.