Jean-Claude Beauvillain
Laboratoire de Neuroendocrinologie et Physiopathologie Neuronale
INSERM U 422, IFR 114, Université de Lille 2.
La survie de l’espèce dépend de la fonction de reproduction qui a très tôt suscité une énorme curiosité. Jacques Benoit n’a pas échappé à celle-ci et s’est intéressé, semble-t-il sur les conseils de Pol Bouin, à l’étude histophysiologique des gonades et des caractères sexuels du coq puis du canard domestique. Très vite ses résultats l’ont amené à se pencher sur l’hypothalamus et l’hypophyse et je doute qu’il ait réalisé à cette époque qu’il allait être à l’origine, via ses élèves, du développement d’un si grand nombre de laboratoires en France. Dans ces laboratoires, les chercheurs se sont passionnés pour l’étude de la régulation des fonctions hypophysaires et ont été les éléments clés de l’essor de la neuroendocrinologie.
Concernant la fonction de reproduction, la découverte majeure a été la caractérisation de la neurohormone hypothalamique capable de moduler la sécrétion de LH par le groupe de Schally et le groupe de Guillemin en 1971. D’abord appelée LRF puis LRH puis LHRH pour finir en GnRH (gonadotropin releasing hormone) compte tenu de sa capacité à la fois de stimuler la sécrétion de LH mais aussi la FSH, ce decapeptide a suscité des milliers de travaux quant à son mode de régulation.
Après avoir localisé les cellules responsables de sa synthèse (ce qui a d’ailleurs valu quelques polémiques passionnées), certains auteurs se sont orientés vers l’étude de sa régulation au niveau des corps cellulaires localisés selon les espèces dans l’aire préoptique ou dans l’hypothalamus médio-basal. D’autres se sont plutôt penchés sur les différents évènements contrôlant la libération de la neurohormone au niveau de l’éminence médiane. La difficulté des études menées sur les corps cellulaires a été l’inattendue petite quantité de cellules par ailleurs très dispersées.
Au fur et à mesure de l’avancement des travaux, on s’est très vite rendu compte que les cellules à GnRH ne fonctionnaient pas vraiment selon le schéma que l’on s’était imaginé. Elles présentaient une activité pulsatile et cyclique, (l’origine précise fait encore couler beaucoup d’encre), elles étaient sensibles à l’environnement stéroïdien mais ne semblaient pas posséder les récepteurs des œstrogènes, leurs sécrétions étaient modulées par un très grand nombre de neuropeptides mais elles n’exprimaient que très peu de types de récepteurs des neuropeptides. Les très rares récepteurs des neuropeptides qui ont pu être caractérisés dans les cellules à GnRH ne l’ont été que dans quelques cellules et à seulement à certains moment du cycle chez la femelle. Enfin, les quelques observations faites en microscopie électronique révélaient que les corps cellulaires ne recevaient qu’un très petit nombre d’afférences établissant des contacts synaptiques mais qu’ils étaient essentiellement entourés de prolongements gliaux. Cette forte interrelation neurone-glie n’était pas relevée qu’au niveau des corps cellulaires car, au niveau de l’éminence médiane, on pouvait remarquer que les terminaisons nerveuses à GnRH étaient complètement englobées dans les prolongements des cellules épendymaires de l’éminence médiane appelés tanycytes. Contrairement à d’autres types de terminaisons nerveuses neuroendocrines, comme les terminaisons à somatostatine ou à GHRH couramment observées au contact des capillaires, il était quasiment impossible d’observer des contacts neurohémaux avec des terminaisons à GnRH . Ces derniers résultats ont fait pensé que la glie pouvait avoir un rôle non négligeable au niveau du contrôle de la libération de la neurohormone tout simplement en modulant l’accès des terminaisons nerveuses aux capillaires. On pouvait aussi penser que la glie pouvait moduler la synthèse et la sécrétion de GnRH via des substances qu’elle exprime comme les prostaglandines, le glutamate, les facteurs de croissances, l’AMP cyclique etc….
Ce sont les facteurs de croissance qui ont semblé être les meilleurs candidats gliaux susceptibles d’agir sur le système à GnRH et ce sont essentiellement deux équipes, celle de Melcangi et celle d’Ojeda qui se sont penchées respectivement sur le rôle possible du TGFb1 et des EGF. Ces études ont beaucoup bénéficié de la possibilité d’utiliser des cellules immortalisées à GnRH (cellules GT1). Grâce à des cocultures d’astrocytes et de cellules GT1, l’équipe de Melcangi a su mettre en évidence que le TGFb1 pouvait influencer directement l’expression des ARNm codant pour la GnRH dans les cellules GT1 d’une part et que cette molécule stimulait sa sécrétion d’autre part. Cependant, restait à savoir si in vivo le TGFb1 avait une action directe sur les cellules à GnRH. Ce n’est que très récemment que des chercheurs de notre laboratoire ont pu apporter des arguments démontrant qu’in vivo le TGFb1 peut agir directement sur les cellules à GnRH en diminuant l’expression des ARNm codant pour la GnRH alors qu’une action directe sur la libération de GnRH semble improbable. Effectivement les cellules à GnRH de l’aire préoptique du rat possèdent à la fois les récepteurs du TGFb1 et expriment les Smads qui sont des éléments majeurs de la voie de transduction du TGFb1. Par ailleurs le TGFb1 induit une diminution significative des ARNm codant pour la GnRH. Par contre les terminaisons nerveuses à GnRH ne contiennent pas de récepteurs au TGFb1 ce qui explique que jusqu’à maintenant personne n’ait pu montrer un rôle direct du TGFb1 sur la libération de GnRH à partir d’explants d’éminence médiane. Ces résultats sont très importants car ils sont le reflet d’une action directe incontestable d’un facteur de croissance sur l’activité des cellules à GnRH in vivo. Cependant, parallèlement à cette action directe du TGFb1 nos observations nous ont fait penser que le TGFb1 pouvait aussi agir sur les cellules à GnRH de façon indirecte car de très nombreuses structures hypothalamiques connues pour être impliquées dans la régulation de la sécrétion de GnRH possédaient des cellules contenant des récepteurs au TGFb1. Ainsi, Sébastien Bouret a montré que les cellules à POMC de la région rostrale du noyau arqué qui se projettent à proximité des cellules à GnRH, peuvent être modulées par du TGFb1. C’est également le cas des tanycytes de l’éminence médiane qui peuvent à la fois synthétiser et être stimulées par cette cytokine. Dans le cas des cellules à POMC, on peut donc penser que le TGFb1 module la sécrétion de la b endorphine souvent considérée comme un des principaux inhibiteurs du système à GnRH. L’ensemble de ces travaux indique par conséquent que le TGFb1 sécrété par la glie est vraisemblablement une molécule très importante dans la régulation à la fois directe et indirecte du système à GnRH.
Pour ce qui est des EGF, c’est l’école de Sergio OJEDA qui a apporté l’essentiel des résultats sur les effets de plusieurs membres de cette famille sur la sécrétion de GnRH et ce sont surtout des travaux s’intéressant à l’initiation de la puberté qui ont fait avancer de façon spectaculaire les connaissances. Le point de départ de cette thématique a été la démonstration que le TGFa était susceptible d’induire la sécrétion de GnRH par l’éminence médiane via une action indirecte impliquant la sécrétion de prostaglandines. La suite des travaux a permis de démontrer clairement le rôle des cellules gliales capables de synthétiser le TGFa qui peut agir par voie paracrine/juxtacrine sur des cellules gliales voisines possèdant les récepteurs erbB1, sites de liaison du TGFa. Cette liaison induit la fabrication de prostaglandines qui stimulent la sécrétion de GnRH par les terminaisons nerveuses à GnRH. Avec une démarche intellectuelle un peu similaire, l’équipe d’Ojeda a également montré que les neuregulines, autres membres de la famille des EGF, influençaient la sécrétion de GnRH également via la fabrication de prostaglandines. Cette fois les neuregulines agissent sur des récepteurs erbB4 qui peuvent, comme erbB1 d’ailleurs, s’hétérodimériser avec erbB2 pour stimuler la sécrétion de prostaglandines. L’application de méthodologies de transgénèse ont permis de façon très élégante de montrer les rôles de erbB1 et erbB4 à la fois dans l’apparition de la puberté et la capacité de reproduction.
L’ensemble de ces travaux montre donc que la glie est capable de moduler l’activité des neurones à GnRH via la sécrétion de substances agissant directement ou indirectement au niveau du péricaryon ou des terminaisons nerveuses.
Parallèlement à ces travaux, nous nous sommes orientés sur l’étude de la relation neurone-glie au niveau de l’éminence médiane en essayant de comprendre comment la GnRH pouvait accéder aux capillaires du système porte, alors que les terminaisons nerveuses apparaissaient systématiquement englobées dans les tanycytes et donc séparées de l’espace péricapillaire. Notre hypothèse, qui avait d’ailleurs été évoquée par Koslowski dès1985, était qu’il pourrait exister une plasticité morphologique de cette région. Cette plasticité pourrait favoriser l’accès des terminaisons nerveuses aux capillaires du plexus porte notamment chez la femelle à la période critique où une grande quantité de GnRH est mesurée dans le sang porte. Pour répondre à cette question, nous avons entrepris une étude en microscopie électronique consistant à examiner la zone externe de l’éminence médiane à des moments clés du cycle oestral. En fait, ce n’est qu’après une analyse sur coupes sériées que nous avons pu constater qu’effectivement chez les femelles les terminaisons nerveuses étaient observées au contact des capillaires ou en étaient séparés par des prolongements gliaux selon l’état stéroïdien des animaux : des jonctions neurohémales ne sont visibles que le jour du proœstrus au moment où l’on observe le pic de GnRH dans le sang porte. Par ailleurs, à ce même stade du cycle, on pouvait constater que la lame basale avait un aspect tortueux suggérant un remaniement de la zone externe de l’éminence médiane et notamment des tanycytes, et que certaines terminaisons nerveuses présentaient des excroissances en direction des capillaires. De fait, nos études ultérieures ont montré que le GAP-43 est présent dans les terminaisons nerveuses de l’éminence médiane et que dans les péricaryons, l’expression de ses ARNm varie au cours du cycle oestral. Les variations d’expression de ce facteur de plasticité dans les neurones à GnRH de l’adulte sont donc cohérents avec l’idée d’une plasticité des terminaisons nerveuses et avec nos images ultrastructurales.
Le rôle des tanycytes dans cette plasticité a été beaucoup plus difficile à estimer et ce n’est que très récemment qu’il a été obtenu des résultats probant montrant les facultés de ces cellules à changer de forme. Les premiers travaux sont dûs à Vincent Prévot et ont été effectués lors de son stage post-doctoral dans le laboratoire de Sergio Ojeda. Ils sont partis de l’hypothèse que les cytokines capables d’induire la sécrétion de GnRH via la sécrétion de prostaglandines, pouvaient également provoquer une plasticité des tanycytes. Cette hypothèse s’est avérée payante puisqu’il a pu être démontré sur des cultures de tanycytes que l’ajout de TGFa provoquait dans des délais de l’ordre de 8 à 12 heures, des excroissances de tanycytes, alors qu’inversement l’ajout de TGFb entraînait une rétraction. Fait par ailleurs très intéressant, il apparaît que le TGFa est lui même capable de faire synthétiser le TGFb par les tanycytes. Par conséquent, il existe une inter-relation étroite entre les sécrétions de TGFa et TGFb qui pourrait permettre de moduler la forme des tanycytes. Ces mouvements qui s’exercent dans des périodes tournant autour de 10 heures, peuvent évidemment être fortement impliqués dans les phénomènes de plasticité observés au cours du cycle. Ces travaux constituent une avancée importante dans la compréhension des mécanismes impliqués dans la plasticité morphologique.
Parallèlement à ces travaux, dans le laboratoire nous nous sommes intéressés au rôle possible du monoxyde d’azote (NO) sur cette même plasticité. Le point de départ de cette orientation avait été la lecture d’un travail de Ramsell et Cobbet montrant un rôle du NO sur le remaniement du cytosquelette d’actine des astrocytes. De fait, il est apparu que le NO était susceptible également de modifier le cytosquelette d’actine des tanycytes dans des délais extrêmement brefs (de l’ordre de quelques minutes). Cependant, le fait le plus surprenant que Sandrine De Seranno vient de démontrer, c’est qu’in vivo, le NO capable d’agir sur le cytosquelette mais aussi sur la plasticité des tanycytes est d’origine endothéliale. L’endothélium vasculaire apparaît donc être un partenaire important dans l’induction de la plasticité des tanycytes via la sécrétion de NO et paraît par conséquent un élément essentiel favorisant l’accès des terminaisons nerveuses aux capillaires le jour du prooestrus. Cette conclusion est complètement compatible avec les travaux menés dans le laboratoire visant à mesurer par ampérométrie la sécrétion de NO dans l’éminence médiane au cours du cycle oestral. Effectivement, grâce à cette méthode il a pu être montré que le NO était sécrété de façon pulsatile par l’éminence médiane mais surtout que l’amplitude de sécrétion était maximale en proœstrus. Par conséquent il existe bien un pic de NO dans l’éminence médiane au moment où l’on observe l’établissement d’une jonction neurohémale. Ce NO a bien une origine endothéliale puisque l’étude de l’expression de la NOS endothéliale (ARNm et peptide) montre que les taux d’expression varient au cours du cycle œstral avec des maxima en proœstrus. La suite du travail a parfaitement démontré que l’œstradiol était essentiellement responsable de cette augmentation de eNOS. Il apparaît par conséquent de plus en plus clairement que l’endothélium, via la sécrétion de NO modulée de façon génomique intervient dans la sécrétion de GnRH au niveau de l’éminence médiane. Le NO peut vraisemblablement intervenir de deux façons : 1) via une action directe et très rapide sur la terminaison à GnRH et 2) via une action sur les tanycytes en favorisant la formation d’une jonction neurohémale.
L’ensemble de ces travaux montre donc que des facteurs gliaux et endothéliaux sont susceptibles de moduler la forme des tanycytes et sont donc des éléments clés de la plasticité de la zone externe de l’éminence médiane. Il reste maintenant à déterminer comment ces deux phénomènes inter-agissent.
Conclusion :
En conclusion, ces résultats démontrent de façon évidente qu’en plus des régulations transsynaptiques et humorales, les cellules à GnRH reçoivent des messages de la glie et que l’endothélium peut inter-agir avec des cellules gliales pour moduler la diffusion d’un neuropeptide à partir d’une terminaison nerveuse. L’éminence médiane est en fait un excellent modèle expérimental pour mettre en évidence ce type d’interaction dans la mesure où elle contient de nombreux capillaires, de nombreuses cellules gliales et de nombreuses terminaisons nerveuses. De plus, les répercussions physiologiques sont relativement simples à évaluer.
Il y a fort à penser que l’implication de l’endothélium dans le traitement de l’information nerveuse est beaucoup plus fréquent qu’on ne le pense et d’ailleurs dans une revue récente, JF Paton rapporte un exemple dans le tronc cérébral où l’endothélium est impliqué dans la transmission gabaergique.
Nos modèles de recherche, en plus des avancées dans la connaissance des systèmes neuroendocriniens, nous permettent donc de découvrir et de disséquer d’autres modes de communications intercellulaires. Espérons qu’il sera possible de continuer ce type de recherche dans l’avenir.
Pour en savoir plus :
Ojeda et al. Recent Prog Horm Res, 2000, 55, 197-223
Prevot et al. Neuroscience, 1999, 94, 809-819
Prevot et al. Brain Research Rev, 2000, 34, 27-41
Prevot et al. J Neurosci., 2003, 23, 10622-10632
Bouret et.al. Endocrinology, 2001, 142, 4055-4065
Bouret et al. Endocrinology, 2004 , (sous presse)
Knauf et al. Endocrinology 2001, 142, 4288-4294
Knauf et al. Endocrinology, 2001, 142, 2343-2350