L’hormone de mélanoconcentration: histoire d’un peptide “alimentaire” et stressant.
Jean-Louis Nahon, Institut de Pharmacologie Moléculaire et Cellulaire, UMR 6097 CNRS/Université de Nice-Sophia Antipolis, Valbonne, France
Le Dr. Claude Fortier aurait eu 90 ans en 2011 et ce pionnier de la « bioinformatique » serait certainement surpris par le flux incessant de données issues des « plateformes » d’analyse moléculaire à grande échelle et curieux d’en connaître les retombées dans le domaine de la Neuroendocrinologie. Grand organisateur de la Neuroendocrinologie Québécoise il a laissé une oeuvre exceptionnelle, encore très vivace aujourd’hui, concernant l’étude des acteurs majeurs régulant l’axe HPA, comme les peptides et stéroïdes. Dans les années 50 à 70, il fut au coeur de la bataille du “Corticotropin releasing hormone” (CRH) entre Roger Guillemin et Andrzej « Andrew » Schally qui verra finalement un jeune “outsider” Texan entouré de sa « garde Suisse » remporter la victoire et proposer la première séquence du CRH en 1981; sans le savoir, la saga d’un autre peptide, l’hormone de mélanoconcentration (dont l’acronyme anglicisé est MCH) venait de débuter. En effet, 15 ans plus tard, Wylie Vale, troquant son chapeau Texan pour une planche de surf, me confiait une mission quasi mystique, cryptique à-tout-le-moins, en demandant au biologiste moléculaire que j’étais de cloner le gène d’un peptide hypothalamique, la MCH, dont la fonction supposée était d’être un anti-CRH. En effet, parmi la poignée d’articles relatant l’existence d’un MCH chez les mammifères en 1987, une étude indiquait que la version saumonée du peptide, la seule purifiée et séquencée à l’époque, était capable d’inhiber la sécrétion d’ACTH dans des cultures pituitaires de rat. Cet effet justifiait à lui seul l’empressement de Wylie pour la quête du Graal inhibiteur de l’axe HPA. Cependant, cette hypothèse séduisante s’étant avérée erronée, une autre caractéristique du MCH connaîtra un avenir bien plus prometteur: les neurones à MCH chez les mammifères sont confinés en majorité dans l’hypothalamus latéral, une région clé dans l’initiation du comportement alimentaire et de la croissance pondérale.
Dans cet article, je retrace l’histoire de ce peptide, singulière par ses phases d’engouement et de désillusion et par l’intérêt toujours renouvelé d’une communauté de scientifiques venant y chercher la source de nouveaux concepts ou tester des hypothèses au fil de la découverte de nouvelles fonctions. C’est aussi l’occasion d’illustrer la maxime fameuse de Theodosius Dobzhansky « nothing in Biology makes sense except in the light of Evolution » en rappelant que le nom même « d’hormone de mélanoconcentration » reflête un « accident » évolutif et que la genèse des gènes porteurs de séquences MCH codantes ou non-codantes résulte d’un brassage génomique ininterrompu au cours des derniers 600 millions d’années. Enfin les pharmacologues ne sont pas en reste car depuis les premières études de structure-activité sur la MCH de poisson jusqu’aux criblages à grande échelle d’antagonistes non-peptidiques, en passant par la création de modèles de souris transgéniques KO ou KI, des progrès considérables sont survenus dans notre compréhension des interactions MCH/MCH récepteurs et de leurs résultantes physiologiques. Ce foisonnement de données a élevé le système MCH au rang de « cible thérapeutique d’avenir » dans le traitement des troubles du comportement alimentaire, du sommeil et du stress. Espérons que ces honneurs récents ne conduiront pas aux mêmes désillusions que nombres d’autres « médicaments d’avenir ».
Découverte de la MCH
En 1931, Hogben et Slone postulèrent l’existence de deux hormones aux actions opposées contrôlant les changements de pigmentation chez les poisons et amphibiens. Après la découverte dans les années 50 de l’a-melanocyte stimulating hormone (a-MSH) dans différentes espèces, incluant les poissons et amphibiens, il faudra attendre 1983 pour que Kawachi, Baker et leurs collaborateurs purifient et séquencent, à partir de glandes pituitaires de saumon, un peptide cyclique de 17 acides aminés (Fig.1), la melanin-concentrating hormone (MCH). Plusieurs laboratoires identifièrent ensuite un peptide de structure identique dans différentes espèces de poissons téléostéens (saumon, truite,…) et établirent que la MCH était un antagoniste fonctionnel de l’a-MSH dans des tests d’aggrégation/dispersion de la mélanine. Il faut noter qu’un tel contrôle dual apparaît tardivement chez les Actinoptérygiens, confiné aux holostéens et téléostéens et qu’il semble tributaire de la production du peptide MCH de 17 acides aminés, originellement trouvé chez le saumon, par une sous-population neuronale projetant massivement vers la neurohypophyse.
En dépit de cette restriction fonctionnelle, un peptide apparenté à la MCH de téléostéens a été détecté par immunohistochimie dans le cerveau de nombreux vertébrés, depuis la lamproie jusqu’à l’homme. La caractéristique essentielle de ce système peptidergique est sa localisation restreinte à l’hypothalamus, majoritairement l’aire hypothalamique latérale (AHL) chez les mammifères, avec des projections touchant de multiples aires cérébrales. L’isolement en 1989 de la MCH de rat, un peptide de 19 acides aminés, dans le laboratoire de Wylie Vale (The Salk Institute, USA ; voir Fig.1) fut une étape essentielle pour initier la caractérisation de ce système peptidique chez les mammifères. Le clonage des ADNc et gènes codant pour la MCH de rat, souris et homme permit d’établir la structure du précurseur MCH et de révéler l’existence de nouveaux peptides potentiels dont les fonctions sont toujours en cours d’exploration. La caractérisation des récepteurs à la MCH dans les années 2000 sera une autre étape majeure, ouvrant la voie aux études pharmacologiques et pré-cliniques utilisant des antagonistes non-peptidiques pour traiter l’obésité, le syndrome métabolique, l’addiction aux drogues, les troubles émotionnels ou ceux du sommeil.
Structure et Evolution des ARNms/gènes MCH
Chez les poissons téléostéens deux gènes et ARNms correspondant ont été initialement clonés et séquencés dans les années 90. Ces deux gènes, nommés Pmch1, sont sans introns et les paralogues montrent plus de substitutions que les orthologues, en accord avec une trétraploidisation précoce au cours de l’évolution des poissons téléostéens (Fig.2). La séquence du peptide MCH est en position C-terminale du précurseur et correspond à la partie la plus conservée, la partie N-terminale du précurseur étant extrêmement divergente chez ces espèces. Récemment, un second système génique à MCH a été identifié chez le poisson zèbre, le fugu, l’épinoche et le médaka par recherche d’homologie de séquence avec la séquence MCH de mammifère. Ce gène, appelé Pmch2, partage de fortes ressemblances avec le gène Pmch de mammifère en terme de séquence peptidique, organisation exons-introns et groupe de synténie. L’expression de ce gène apparaît différente dans l’hypothalamus de celle du gène Pmch1, homologue au gène MCH de saumon. Une caractéristique majeure du gène Pmch2 serait son implication probable dans le contrôle central de la prise alimentaire chez les poissons, une fonction partagée par son orthologue chez les mammifères (voir plus bas).
Le gène MCH (Pmch) de mammifère est composé de 3 exons et 2 introns fortement conservés (Fig.3A). Le premier exon code pour la partie 5’ non-traduite (UTR) et la partie N-terminale du précurseur, comprenant le peptide signal essentiel au ciblage de la protéine dans la voie de sécrétion. Le second exon code pour les peptides potentiels nommés Neuropeptide (N)-glycine (G)- acide glutamique (E) (NGE) et Neuropeptide (N)-acide glutamique (E)-isoleucine (I) (NEI) ainsi que les trois premiers acides aminés de la MCH. Les quinze derniers acides aminés de la MCH sont portés par l’exon III. L’intron B vient couper un codon méthionine en phase 1. L’insertion d’un intron dans un codon du peptide actif est un fait rarissime dans le cas des gènes codant pour des neuropeptides, retrouvé seulement dans le cas de la famille des gènes codant pour les peptides natriurétiques auriculaires. Cette organisation des exons et introns est de prime importance pour générer une forme particulière d’ARNs épissés codant pour une protéine appelée MCH-gene-overprinted-polypeptide (MGOP) (Fig. 3B). La protéine MGOP de rat/souris contient 125 acides aminés et est constituée d’une partie N-terminale identique à celle du précurseur MCH (dans l’exon I) mais très différente en partie C-terminale avec l’absence des peptides NGE et NEI (épissage de l’exon 2) et le « démasquage » d’une nouvelle phase ouverte de lecture (décalage de phase dans l’exon III). Des études détaillées de cartographie cérébrale et de caractérisation structurale de MGOP ont révélé une co-expression stricte de MGOP et MCH dans l’hypothalamus latéral et les zones de production/projection de la MCH chez le rat et la souris. La fonction de cette protéine reste inconnue à ce jour.
Outre le gène MCH/MGOP plusieurs unités de transcription portant des séquences apparentées ou reliées structurellement au locus MCH ont été identifiés dans le génome de mammifères. En premier lieu, l’étude exhaustive de transcripts de grande taille dans les cellules de phéochromocytome de rat PC12 a révélé l’existence d’un gène porté par le brin d’ADN complémentaire au gène MCH, nommé AROM pour Antisens-RNA-Overlapping-MCH. Ce gène code pour deux types de transcritps: 1) des transcrits non épissés, non codants et recouvrant strictement le gène MCH ; 2) des transcrits épissés dont seule la partie 3’ UTR est complémentaire du gène MCH et codant pour de nouvelles protéines de type « RNA binding proteins ». L’expression réciproque de certains ARNs AROM et du gène MCH dans les cellules PC12 suggèrent une relation fonctionnelle directe entre ces deux gènes, mais cette hypothèse n’a pas été testée dans des modèles in vivo.
Chez l’homme, deux systèmes géniques MCH ont été identifiés: un gène dit “authentique” car homologue au gène unique trouvé chez les rongeurs et deux gènes “variants”, des versions tronquées dans la partie 5′ du gène MCH. Les gènes MCH variants, appelés PMCHL1 et PMCHL2, sont localisés sur le chromosome 5 en 5p14 et 5q13. Ils sont apparus tardivement au cours de l’évolution chez les primates selon un processus complexe faisant intervenir : 1), un événement de rétrotransposition/troncation au locus « ancestral » 5p14 d’un transcript issu du gène AROM, il y a 32 millions d’années (Ma) ; 2) des mutations/délétions dans la région 3’ flanquante, pendant les 25 Ma qui ont suivi l’événement d’insertion ; 3) une duplication d’une copie génique sur le bras 5q13, au moment de la divergence des Hominidés il y a environ 10 Ma. Les gènes PMCHL1/PMCHL2 sont donc des gènes “chimères” possédant deux parties distinctes, l’une créée par rétrotransposition (la partie 5’ du gène) et l’autre par émergence d’exons (la partie 3’ du gène). Seul le gène PMCHL1, correspondant à la copie du gène variant MCH en 5p14, est exprimé dans le cerveau humain et de macaque. La majorité des transcripts issus du gène PMCHL1 sont des ARNnc dont les cibles potentielles sont en cours de caractérisation. Les gènes PMCHL1/PMCHL2 représentent des prototypes de gènes « spécifiques des primates » , une classe de gènes particulièrement étudiés du fait de leur intérêt majeure dans notre compréhension de l’évolution humaine et de l’apparition de nouvelles fonctions, en particulier dans le cerveau.
Maturation du précurseur MCH
Dans le cerveau de mammifères, la majorité des peptides dérivés du précurseur MCH concerne le peptide MCH cyclique mature de 19 acides aminés, le peptide NEI amidé et la partie du pro-peptide de 107 acides aminés, comprise entre le site de clivage du peptide signal et le doublet d’acides aminés basiques précédant la séquence du NEI. En périphérie, les peptides matures MCH et NEI sont minoritaires, voire absents, dans des organes comme la rate, le thymus, l’intestin ou le testicule et sont remplacés par des dérivés pro-MCH de haut poids moléculaires comprenant a minima le dipeptide NEI-MCH. Ce produit de maturation a été synthétisé et injecté en intracérébroventriculaire (ICV) chez le rat. Le NEI-MCH induit un effet de prise alimentaire et de prise de poids plus puissant que le peptide MCH maturé , du fait d’une résistance accrue aux peptidases. Cette situation pourrait se retrouver lors de pathologies associées à des modifications de la perméabilité de la barrière hémato-encéphalique permettant l’accès dans le cerveau de formes peptidiques MCH de haut poids moléculaires.
Les enzymes, prohormone-convertases (PCs), impliquées dans la maturation de la pro-MCH ont été étudiées in vitro, dans des cellules transfectées et in vivo dans un modèle de souris invalidée pour PC2 . L’ensemble des résultats tend à démontrer la participation exclusive de PC2 dans la production de NEI et préférentielle dans le cas de la maturation de MCH. En accord avec ces données, PC2 est co-localisée avec la pro-MCH dans les neurones de l’AHL
Les récepteurs MCH et leur signalisation
La quête du récepteur MCH fut infructueuse pendant des années, en dépit de la caractérisation de « sites de liaison » sur différents types cellulaires, comme les mélanomes, kératinocytes ou neuroblastomes. L’absence de signalisation associée et la faible sélectivité de ces « sites de liaison» pour la MCH les excluait de facto comme récepteurs MCH fonctionnels. C’est en 1999 qu’un récepteur « orphelin » appelé SLC1/GPR24 chez l’homme va être identifié, par « pharmacologie inverse », comme liant sélectivement la MCH et activant plusieurs voies de signalisation potentielles. Ce récepteur, nommé MCHR1, appartient à la classe 1 des récepteurs couplés aux protéines G (RCPG) et présente une très forte conservation de séquence chez les mammifères. L’expression cérébrale de MCHR1 a été établie chez le rat, la souris et les primates et montre un recouvrement avec la carte de projection des fibres à MCH, suggérant que ce récepteur peut médier la plupart des effets centraux de la MCH chez les mammifères (Fig. 4). La signalisation du MCHR1 a été initialement étudiée dans des cellules transfectées avec des vecteurs d’expression, aboutissant à une surexpression du récepteur et à l’activation de multiples cascades intracellulaires. Ainsi, MCH inhibe la synthèse d’AMPc induite par la forskoline, augmente la production d’IP3 et le niveau intracellulaire de calcium, induit la voie des MAPkinases de manière isolée ou en combinatoire selon le type de cellules transfectées. Les données concernant les voies activées par la MCH en situation physiologique sont beaucoup plus rares. Dans le cas de cellules de neuroblastomes humains, exprimant naturellement un niveau de MCHR1 proche de celui trouvé dans les neurones, MCH active les voies de la p53 et des MAPkinases et régule la pousse axono-dendritique, suggérant un rôle inattendu de la MCH dans la différenciation et la plasticité des neurones.
Un second récepteur MCH, appelé MCHR2, fut isolé initialement par criblage in silico de banques d’ADN génomique humain. Le degré de similarité entre les séquences des gènes MCHR1 et MCHR2 chez l’homme est faible (38 %), suggérant une divergence précoce au cours de l’évolution des mammifères. Dans ce contexte le gène MCHR2 apparaît absent chez les Rongeurs et non-fonctionnel chez les Lagomorphes mais présents chez les Carnivores et les Primates. Chez les Primates, MCHR2 est exprimée principalement dans les régions limbiques du cerveau, comme le cortex enthorinal, l’hippocampe, l’amygdale médian, l’hypothalamus ventral et le claustrum tandis que MCHR1 est distribué plus largement avec de forte expression dans le cortex frontal et somatosensoriel, le noyau accumbens, le thalamus, le noyau caudé ou le globus pallidus. Cette distribution différentielle suggère des fonctions distinctes associées aux effets de la MCH dans le cerveau humain en particulier. Les voies de signalisation ont été étudiées, comme pour MCHR1, principalement dans des modèles de cellules transfectées et seule la cascade IP3/calcium semble médier l’action de la MCH dans ces cellules. L’existence d’un système dual de récepteurs à MCH chez l’homme et les grands mammifères, absent chez les rongeurs, rend crucial la mise au point d’un modèle de souris transgénique mimant le contexte humain et permettant de tester les agonistes/antagonistes MCH. Ce modèle est en cours d’élaboration en collaboration avec l’équipe de D. Richard (IUCPQ, Québec, Canada).
Actions de la MCH et implications physiopathologiques dans le contrôle de la balance énergétique
L’expression dominante de la MCH dans l’ALH du cerveau de mammifère, une région identifiée comme un « centre initiateur de prise alimentaire », a conduit de nombreuses équipes à étudier l’effet de la MCH (et le rôle des récepteurs) dans la régulation du comportement alimentaire et de l’homéostasie énergétique. Ainsi l’importance du couple MCH/MCHR1 dans l’initiation de la prise alimentaire et la prise de poids a été particulièrement bien établie dans les modèles de rongeurs, rat et souris. L’ensemble des données permet de placer le système neuronal à MCH au point de convergence de plusieurs voies intrahypothalamiques de régulation de la balance énergétiques par les signaux périphériques comme l’insuline, la leptine ou la ghréline (voir Fig.5). En premier lieu, l’injection ICV en aigue de MCH (> 5 mgr/animal) induit transitoirement la prise alimentaire chez le rat . Cet effet orexigène ne semble pas faire intervenir les réseaux peptidiques à NPYou orexines mais peut être bloqué par l’injection simultanée d’aMSH, une propriété d’antagonistes fonctionnels entre les deux peptides mélanotropiques qu’on retrouve dans de multiples situations chez les vertébrés. Des injections intrahypothalamiques ciblées de MCH ont permis d’identifier plusieurs aires (noyau arqué, noyau ventromédien, noyau paraventriculaire) comme particulièrement sensibles à l’action de la MCH, en accord avec les données neuroanatomiques et d’électrophysiologie. De manière intéressante, la MCH stimule aussi la prise hydrique, indépendamment de son effet orexigène, en accord avec la forte adipsie notée chez les rats lésés dans le LHA. L’injection chronique régulière en ICV de MCH chez le rat ou la souris provoque une hyperphagie et une augmentation du poids corporel, particulièrement sous un régime modérément riche en lipide. La survenue de l’obésité chez ces animaux est accompagnée d’une stimulation de la lipogénèse dans le tissus adipeux blanc (TABl), d’une réduction des fonctions hyperthermiques du tissus adipeux brun (TABr), de l’augmentation des taux sériques en glucose, insuline et leptine, tous paramètres retrouvés dans l’obésité humaine. En accord avec ses études physiologiques, l’utilisation de souris génétiquement modifiées a démontré l’importance des gènes MCH et MCHR1 dans le contrôle du comportement alimentaire et de l’homéostasie énergétique. Ainsi, une souris transgénique surexprimant le gène MCH développe une hyperphagie, une obésité et une résistance à l’insuline si elle est maintenue en régime hyperlipidique (RHL). Inversement, l’invalidation du gène MCH chez la souris (KO MCH) aboutit à un phénotype de minceur, combinant hypophagie et fonte du TAB, dépendant cependant du fond génétique et du régime alimentaire. Dans ce contexte, la diminution de poids observée chez les souris issues du croisement de souris ob/ob et de souris KO MCH résulte principalement d’une amélioration de la régulation énergétique mais pas du comportement alimentaire (les souris restant hyperphagiques). De même, l’invalidation du gène MCHR1 aboutit à un phénotype de minceur associant hyperphagie et hypermotricité et augmentation du métabolisme énergétique. Enfin, l’utilisation d’antagonistes ciblant MCHR1 en injection ICV ou en périphérie conduit à une réduction drastique de l’appétit, de la prise de poids et du stockage de lipides sans modifié la masse maigre chez les rongeurs, des propriétés intéressantes en vue de leur utilisation potentielle en clinique humaine. Cependant, une affinité marquée pour les canaux hERG d’une majorité des antagonistes non-peptidiques MCH conduit à des dysfonctions cardiaques préjudiciables à leurs applications thérapeutiques dans un proche avenir.
Actions de la MCH et implications physiopathologiques dans le contrôle de la réponse au stress et à l’anxiété
La littérature relative aux effets de la MCH sur l’activité de l’axe hypothalamus-glande pituitaire- glande surrénale (HPS) en liaison à la réponse au stress est particulièrement riche en données contradictoires. Selon les études, l’injection ICV de MCH chez le rat stimule ou ne modifie en rien la production d’ACTH. L’administration de MCH en intraveineux activerait l’axe HPS. A l’opposé, la sécrétion d’ACTH après un stress aigue à l’éther ou une manipulation modérée serait diminuée par l’injection ICV de MCH. Cet effet inhibiteur de l’axe HPS est réversé par le peptide NEI ou l’aMSH. Enfin certaines conditions de stress chronique, comme des chocs électriques ou une déhydratation sévère, provoquent une diminution de l’expression de l’ARNm MCH tandis que d’autres types de stress, comme l’immobilisation ou le refroidissement, n’induisent pas de changement voire stimulent l’expression du gène MCH (après un jeun prolongé par exemple). La même disparité a été aussi trouvée pour l’action des agonistes ou antagonistes MCH, tour à tour anxiogènes ou anxiolytiques. La variété des paradigmes expérimentaux peut expliquer ces différences mais il faut aussi considérer deux paramètres importants, les changements d’expression de la MCH en fonction du rythme nycthéméral et l’hétérogénéité des populations à MCH dans l’AHL. Enfin il est possible que la MCH ait des effets opposés dans les systèmes neuroendocriniens et dans les réseaux centraux régulant les comportements de stress, une hypothèse à considérer sérieusement si des antagonistes MCH venaient à être utilisés pour traiter la dépression ou des états d’anxiété.
Perspectives
Les travaux les plus récents sur la MCH ont mis en lumière son implication dans un spectre grandissant de fonctions cérébrales chez les mammifères. Ainsi, la MCH exerce un contrôle essentiel dans le passage du sommeil à onde lente au sommeil paradoxal. De plus, la présence massive du MCHR1 dans le noyau accumbens (NAc) et l’aire tegmentale ventrale, associé à l’effet puissant de la MCH sur la réponse dopaminergique dans ces régions, ont conduit plusieurs équipes à s’intéresser au rôle de la MCH dans les comportements liés aux phénomènes de renforcement et récompense. Les souris KO MCH ou MCHR1 présentent des modifications notables au niveau synaptique de la sécrétion et du captage de la dopamine et une sensibilisation différentielle aux psychostimulants , comme l’amphétamine ou la cocaine. L’injection d’antagonistes MCHR1 dans le NAc inhibe la prise alimentaire et entraîne un effet antidépresseur, des actions inverses de celles observées après injection de la MCH dans cette aire cérébrale. La MCH serait donc un acteur important dans les processus de renforcement et récompense associés à des comportements naturels (prise alimentaire ou réponse au stress) ou des situations pathologiques (boulimie, anorexie mentale, addictions aux drogues). C’est certainement un domaine de recherche dans lequel l’étude du système à MCH apportera de nouvelles et importantes contributions.
Quelques lectures à conseiller
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