Laboratoire des Neuropeptides Centraux et Régulations Hydrique etCardiovasculaire, INSERM U691, Collège de France, Paris
Jacques Benoît, Professeur de la Chaire d’Histophysiologie (1952-1966) au Collège de France est non seulement, le créateur de la Société de Neuroendocrinologie mais également le fondateur d’une grande dynastie de chercheurs qui ont fortement marqué de leur sceau notre discipline. Même ceux d’entre nous qui n’ont travaillé, ni avec Jacques Benoît, ni avec ses élèves, ont été façonnés par sa pensée, relayée et perpétuée par les présidents de la SNE qui avaient été pour la plupart parmi ses élèves.
Parmi les travaux les plus marquants, Jacques Benoît démontra en 1935 que la lumière était capable de stimuler le développement testiculaire du canard et développa le concept d’un axe photo-neuroendocrine. Puis en 1958, avec Yvan Assenmacher, en tirant avantage de la vascularisation particulière du complexe hypothalamo-hypophysaire chez le canard domestique, où le système porte hypothalamo-hypophysaire est, contrairement aux mammifères, anatomiquement séparé de la tige hypophysaire, ils démontrèrent en quatre opérations neurochirurgicales élégantes le concept de neurosécrétion.
Je n’ai pas eu la chance de rencontrer Jacques Benoît, mais, en revanche, j’ai tant appris et tant reçu des différentes générations de neuroendocrinologues qu’il a formés, que je me sens comme adoptée par sa grande famille. C’est pourquoi je dédie cette lecture aux Présidents d’Honneur de la SNE, Andrée Tixier-Vidal, Yvan Assenmacher et Claude Kordon, et plus particulièrement à Claude Kordon en témoignage de ma reconnaissance pour l’intérêt qu’il a toujours manifesté pour nos travaux, et pour le soutien qu’il m’a apporté pour créer notre laboratoire de Neuroendocrinologie au Collège de France, l’unité INSERM U691.
Le but de nos travaux a consisté à effectuer une recherche fondamentale et approfondie sur l’organisation et le rôle fonctionnel de systèmes peptidergiques présents dans le système nerveux central (SNC) et impliqués dans le contrôle central du métabolisme hydrosodé et des fonctions cardiovasculaires. Deux thèmes de recherche ont été poursuivis : un théme fondateur sur le système rénine-angiotensine (SRA) cérébral et un thème émergeant portant sur un neuropeptide récemment découvert, l’apéline. Ces études ont permis d’identifier et de caractériser les enzymes impliquées dans le métabolisme de ces peptides et les récepteurs sur lesquels ces peptides agissent. La synthèse de molécules bloquant ces nouvelles cibles et leur test in vivo sur les différentes actions biologiques induites par ces peptides conduiront au développement de composés potentiellement utilisables en clinique.
Le système rénine-angiotensine cérébral
L’hypertension artérielle (HTA) touche près de 7 millions de personnes en France. Après 50 ans, un Français sur 4 est concerné. Aux Etats-Unis, sa prévalence est considérée autour de 15-20%. L’HTA est un facteur de risque majeur de nombreuses maladies telles que les affections coronariennes, les accidents vasculaires cérébraux, l’insuffisance cardiaque et l’insuffisance rénale. Ce risque est augmenté quand existent conjointement d’autres facteurs de risque, comme le tabagisme, les dyslipidémies ou le diabète. Des traitements efficaces basés sur l’inhibition du SRA systémique, soit en inhibant la formation de l’angiotensine II par des inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) soit en bloquant les récepteurs de l’angiotensine II de type 1. Cependant lors des traitements par les IECs, des effets secondaires comme la toux, due à une dégradation moins importante de la substance P ou de la bradykinine ont été observés. Une détérioration de la fonction rénale peut aussi apparaître en cas de sténose des artères rénales. De plus, certains cas d’HTA à rénine basse (baisse de l’activité du SRA systémique) et taux de vasopressine élevés sont résistants aux traitements classiques par les inhibiteurs du SRA systémique, notamment l’HTA des Africains Américains (33% de la population est hypertendue). Les monothérapies restent insuffisantes dans plus de la moitié des cas, et les réponses individuelles à un composé donné, quelle que soit sa famille, sont très variables.
L’ensemble de ces données souligne l’intérêt de nouveaux traitements visant de nouvelles cibles et surtout un mode d’action différent de ceux déjà établis, adaptés au type d’hypertension. Une hyperactivité du SRA cérébral a été impliquée dans le développement et le maintien de l’HTA. Nos travaux au cours de ces dix dernières années se sont attachés à mieux connaître l’organisation et le rôle fonctionnel du SRA cérébral.
Les composants du SRA cérébral
Tous les composants du SRA décrits à la périphérie sont présents dans le SNC. Aussi bien le précurseur : l’angiotensinogène, les peptides : les angiotensines I, II, III, IV (AngI, AngII, AngIII et AngIV), les enzymes impliquées dans la production de ces peptides comme la rénine ou l’enzyme de conversion de l’AngI (ECA) et les récepteurs angiotensinergiques de type-1 (AT1) et de type-2 (AT2).
Par analogie avec le SRA systémique, la formation de l’AngII résulte d’une cascade enzymatique. La rénine hydrolyse l’angiotensinogène pour donner naissance à l’AngI, décapeptide inactif. Puis l’ECA convertit l’AngI en AngII qui est elle-même métabolisée en AngIII puis en AngIV sous l’action d’aminopeptidases qui pourraient être respectivement l’aminopeptidase A (APA), et l’aminopeptidase N (APN).
Parmi les peptides effecteurs du SRA cérébral, l’AngII et l’AngIII ont la même affinité pour les récepteurs AT1 et AT2. Injectés dans le cerveau, ces deux peptides augmentent de façon similaire la pression artérielle (PA), le comportement dipsique et la sécrétion d’arginine vasopressine (AVP).
Jusqu’à présent, par analogie au système périphérique, il était admis que l’AngII était le principal peptide effecteur du SRA cérébral, bien que cela n’ait jamais été démontré. Cependant, étant donné que l’AngII est convertie in vivo en AngIII, il est possible que l’AngIII soit le véritable effecteur du SRA cérébral. Dans ce cas, le blocage sélectif de la formation de l’AngIII cérébrale devrait aboutir à une baisse de la PA. Ainsi l’enzyme donnant naissance à l’AngIII pourrait constituer une cible thérapeutique potentielle pour le traitement de l’HTA. Le but de nos travaux a consisté à identifier in vivo les voies métaboliques des angiotensines cérébrales. En bloquant sélectivement chacune de ces voies métaboliques à l’aide d’inhibiteurs spécifiques et sélectifs, nous avons ensuite défini la nature du peptide effecteur du SRA cérébral responsable du contrôle central de la PA.
Identification des voies métaboliques de l’AngII et de l’AngIII cérébrales
Pour explorer les voies métaboliques des angiotensines, nous sommes partis des données selon lesquelles deux aminopeptidases appartenant à la famille des métalloproteases à zinc étaient capables d’hydrolyser in vitro l’AngII et l’AngIII. En effet, l’APA hydrolyse l’aspartate N-terminal de l’AngII pour former l’AngIII, alors que l’APN clive l’arginine N-terminale de l’AngIII pour former l’AngIV (Figure 1).
L’utilisation de molécules inhibant spécifiquement et sélectivement ces deux enzymes était essentielle pour estimer in vivo leur rôle fonctionnel dans le métabolisme des Angs cérébrales. A cet effet, en collaboration avec le laboratoire de chimie organique du Pr B.P Roques (INSERM U266), une exploration systématique du site actif de l’APA soit par mutagénèse dirigée, soit par le test de banques de pseuso- di ou tripeptides réalisées par chimie combinatoire, ou par modélisation moléculaire de son site actif (en collaboration avec Dr B. Maigret), a abouti à la conception et à la synthèse de tels composés, inexistants jusqu’à ce jour:
– l’EC33 ((S) 3-amino-4-thio-butyl sulfonate)), inhibiteur spécifique de l’APA au pouvoir inhibiteur 100 fois meilleur sur l’APA (Ki=250 nM) que sur l’APN.
– l’EC27 ((S)-2-amino-1,5-dithio-pentane), inhibiteur sélectif de l’APN au pouvoir inhibiteur environ 100 fois meilleur sur l’APN (Ki = 32 nM) que sur l’APA.
– le PC18 (3-amino-4-thio-méthionine), autre inhibiteur sélectif de l’APN au pouvoir inhibiteur environ 2150 fois meilleur sur l’APN (Ki = 8 nM) que sur l’APA.
Figure 1: Cascade enzymatique des angiotensines dans le SNC et mode d’action des inhibiteurs de l’APA et de l’APN.
A l’aide de ces molécules, nous avons ensuite étudié in vivo si l’APA et l’APN étaient impliquées dans le métabolisme de l’AngII et de l’AngIII cérébrales. Pour cela, nous avons évalué les cinétiques d’apparition et de disparition dans l’hypothalamus des Angs II et III radiomarquées, après avoir injecté chez la souris par voie intracérébroventriculaire (i.c.v.) une quantité connue d’AngII radiomarquée, en présence ou en l’absence des inhibiteurs de l’APA ou de l’APN .
Ainsi, lorsque l’on injecte par voie i.c.v l’EC33, dont l’action va être d’inhiber l’APA, et donc de bloquer la conversion de l’AngII en AngIII, on observe une augmentation de la demie-vie de l’AngII d’un facteur 2,6 et on bloque totalement la formation de l’AngIII. A l’inverse, l’injection centrale des inhibiteurs de l’APN (EC27 et PC18), en bloquant le métabolisme de l’AngIII, augmente la demi-vie de ce peptide, d’un facteur compris entre 2 et 4.
Ces expériences démontrent pour la première fois in vivo dans le cerveau que l’APA convertitl’AngII en AngIII et que l’APN hydrolyse l’AngIII pour former l’AngIV.
Nature du peptide effecteur du SRA cérébral dans le contrôle central de la PA
Les voies angiotensinergiques dans le cerveau de rat ont été visualisées par immunohistochimie. Ces voies prennent naissance dans les organes circumventriculaires dépourvus de barrière hématoencéphalique (BHE) tels que l’organe subfornical (SFO) et l’organe vasculaire de la lame terminale (OVLT) et se projettent dans l’aire préoptique, au niveau du noyau médian préoptique. Du noyau parenventriculaire (PVN) part une autre voie plus longue qui emprunte le faisceau médian du télencéphale pour innerver le noyau du tractus solitaire (NTS) et les neurones préganglionaires orthosympathiques de la moëlle épinière. La stimulation de ces voies ou l’injection centrale d’AngII ou d’AngIII induit une augmentation de la PA. Cette augmentation de PA induite par les angiotensines cérébrales résulte d’une diminution du tonus parasympathique due à l’inhibition de l’arc baroréflexe situé dans le noyau du tractus solitaire, d’une augmentation de l’activité orthosympathique par stimulation des neurones préganglionnaires et d’une augmentation de la sécrétion d’AVP due à la stimulation des neurones magnocellulaires, du noyau supraoptique (SON) et du PVN. La plupart des effets biologiques classiques des angiotensines sont médiés par les récepteurs AT1. Ces récepteurs dans le cerveau sont présents dans les structures qui contiennent les corps cellulaires et/ou les terminaisons des neurones angiotensinergiques comme l’OVLT, le SFO et l’area postrema (AP), ainsi que certains noyaux hypothalamiques comme le MnPO et le PVN, le cortex pyriforme et la medulla oblongata.
Il est bien établi que l’injection par voie i.c.v d’AngII et d’AngIII provoque une augmentation similaire de la PA. Cependant la conversion de l’AngII en AngIII ayant lieu in vivo et les deux peptides ayant la même affinité pour les récepteurs AT1 ou AT2 , la nature du peptide effecteur du SRA cérébral dans le contrôle central de la PA, restait à définir.
Ayant identifié les voies métaboliques de l’AngII et de l’AngIII cérébrales, il devenait possible, en bloquant in vivo chacune de celles-ci à l’aide d’inhibiteurs spécifiques et sélectifs de l’APA et de l’APN, de définir entre l’AngII et l’AngIII, quel était le peptide actif. Dans cet objectif, les effets de l’AngII ou de l’AngIII, injectées par voie i.c.v chez le rat hypertendu, en absence ou en présence des inhibiteurs de l’APA ou de l’APN, ont été évalués sur la PA. Deux modèles expérimentaux d’HTA ont été utilisés, le rat spontanément hypertendu (SHR), un modèle d’HTA essentielle humaine ainsi que le rat DOCA (désoxycorticostérone)-sel, un modèle d’HTA dépendante du sel (rénine basse, AVP élevée).
Le blocage central de l’APA par l’injection i.c.v. d’EC33, induit un effet hypotenseur dose-dépendant chez le rat SHR ou DOCA-sel, alors que l’injection par voie intraveineuse (i.v.) de l’EC33 ne modifie pas la PA. Ces données indiquent que la conversion, dans le cerveau, de l’AngII en AngIII est nécessaire pour induire un effet presseur suggérant que l’AngIII est l’effecteur du SRA cérébral, responsable de l’augmentation de PA.
Pour confirmer cette hypothèse, nous avons étudié les effets sur la PA de l’inhibiteur de l’APN, le PC18. Injecté par voie i.c.v., il provoque l’accumulation d’AngIII endogène et induit une augmentation de la PA. La spécificité d’action du PC18 sur le métabolisme de l’AngIII est démontrée par l’abolition de son effet presseur en présence d’EC33 ou d’un antagoniste des récepteurs AT1.
En conclusion, ces données montrent que dans le cerveau, contrairement à ce qui est établi à la périphérie, ce n’est pas l’AngII mais l’AngIII, l’un des principaux peptides effecteurs du SRA cérébral, qui exerce un effet stimulateur tonique sur le contrôle central de la PA chez le rat hypertendu. Ainsi l’injection centrale et non systémique d’un inhibiteur de l’APA, l’EC33, normalise la PA chez le rat hypertendu. L’APA cérébrale pourrait constituer une nouvelle cible thérapeutique potentielle pour le traitement de certaines formes d’HTA, ce qui justifie le développement d’inhibiteurs de l’APA puissants et sélectifs, capables de pénétrer dans le cerveau après administration par voie systémique, comme antihypertenseurs à action centrale.
Développement d’un inhibiteur de l’APA cérébrale actif par voie systémique
Avec cet objectif, nous avons développé une prodrogue de l’EC33, le RB150 constitué de deux molécules d’EC33 reliées par un pont disulfure. La présence de ce pont empêche cette molécule d’inhiber l’APA car le groupement thiol bloqué dans le pont disulfure ne peut interagir avec l’atome de zinc présent dans le site actif de l’enzyme. Par contre il permet au RB150 de franchir la BHE et de pénétrer dans le cerveau après injection par voie systémique. Dans le cerveau, le pont disulfure du RB150 est clivé par des réductases pour donner naissance à deux molécules actives d’EC33. Ainsi administré par voie i. v., le RB150 pénètre dans le cerveau, où il est instantanément déprotégé, inhibe l’activité de l’APA cérébrale, bloque la formation de l’AngIII cérébrale et normalise la PA chez le rat hypertendu vigile DOCA-sel.
D’autre part, grâce à l’utilisation de cages métaboliques, nos résultats montrent que l’administration de RB150 induit une augmentation de la diurèse chez le rat DOCA-sel. Dans la mesure où ces animaux se caractérisent par une hyperactivité des neurones qui libèrent l’AngIII et que ce peptide est capable de stimuler la production hypothalamique d’AVP, notre hypothèse est que le RB150 comme l’EC33, induit une diminution de la sécrétion plasmatique d’AVP entraînant une augmentation de la diurèse, une diminution du volume sanguin rapprochant ainsi la PA de sa valeur physiologique.
Nos données suggèrent que le RB150 pourrait constituer le prototype d’une nouvelle classe d’agents antihypertenseurs à action centrale. A l’heure actuelle, il devient important d’effectuer des études de toxicité, génotoxicité, biodisponibilité de ce composé et d’évaluer ses effets à long terme, lors d’un traitement chronique, sur la PA et les éventuels effets secondaires qui pourraient en résulter en vue d’une éventuelle application clinique.
Le système apélinergique
Au cours des travaux que nous avons réalisés sur l’identification de l’AngIII comme peptide effecteur du SRA cérébral, l’existence d’un autre sous-type de récepteur des angiotensines, spécifique de l’AngIII a peu à peu émergé. En partant d’ARN total de noyau supraoptique (SON), puis en utilisant une banque d’ADNc de cerveaux de rat, nous avons isolé un récepteur à 7 domaines transmembranaires couplé aux protéines G (RCPG) partageant 31% d’identité de séquence protéique avec le récepteur AT1, d’où son nom APJ pour protéine putative reliée au récepteur AT1 et 90% avec le récepteur orphelin humain nommé APJ. Son étiquetage avec une protéine autofluorescente a permis de vérifier son expression à la membrane et de constater qu’il ne liait pas les angiotensines, représentant un récepteur orphelin. Ceci nous a conduit à développer en collaboration avec les laboratoires des Professeurs H. Vaudry et A. Beaudet un nouveau procédé de criblage pour l’identification de ligands endogènes de récepteurs orphelins mettant à profit la propriété qu’ont la plupart des RCPGs de s’internaliser sous l’action de ligands agonistes. En utilisant ce procédé, nous avons recherché le ligand endogène du récepteur orphelin que nous avions cloné à partir d’extraits de cerveaux purifiés par HPLC. Nous étions parvenus à la troisième étape de purification de ce ligand lorsque la séquence du ligand endogène du récepteur APJ humain a été publiée fin 1998 par Tatemoto et coll qui ont isolé ce ligand à partir d’extraits d’estomac de boeuf en utilisant une méthode de criblage fondée sur la mesure des variations de pH extracellulaire à l’aide d’un appareil, le Cytosenseur. Ils nommèrent le peptide isolé ” apéline “, pour ligand endogène pour le récepteur APJ. Il s’agit d’un peptide de 36 acides aminés (apéline 36), issu d’un large précurseur, la proapéline, composé de 77 acides aminés. La proapéline a été isolée dans différentes espèces et l’alignement des séquences de souris, rat, bœuf et homme a révélé une conservation stricte des 17 derniers acides aminés carboxyterminaux correspondant à l’apéline-17 ou K17F. In vivo, la proapéline donne naissance à différentes formes moléculaires d’apéline : dans le cerveau et le plasma de rat, on retrouve majoritairement la forme pyroglutamyl de l’apéline 13, pE13F et, en plus faible quantité, K17F; dans le testicule et l’utérus, c’est l’apéline 36 qui prédomine, alors que dans la glande mammaire, on retrouve à la fois l’apéline 36 et pE13F.
A l’aide de K17F et d’autres fragments d’apéline tronqués à l’extrémité aminoterminale de K17F, plusieurs laboratoires ont montré que les récepteurs murin et humain de l’apéline, exprimés de façon stable dans des cellules ovariennes de hamster chinois (CHO), sont couplés négativement à l’adénylate cyclase. Les fragments les plus actifs du propeptide sont K17F ainsi que l’apéline 13 (Q13F) et pE13F. Ces mêmes fragments induisent l’internalisation du récepteur de l’apéline. De plus, la stimulation du récepteur de l’apéline par pE13F entraîne l’activation de la voie des MAP kinases et des PI3 kinases.
Distribution de l’apéline et de son récepteur dans le cerveau murin
Le développement d’un anticorps polyclonal de haute affinité et sélectif de K17F a permis de visualiser, pour la première fois, chez le rat, la présence de neurones apélinergiques dans le SNC de rat. Les corps cellulaires de ces neurones sont particulièrement abondants dans les structures de l’hypothalamus et du bulbe rachidien impliquées dans le contrôle neuroendocrinien, le comportement dipsique et la régulation de la PA, notamment dans la partie magnocellulaire du PVN et dans le SON de l’hypothalamus, le noyau arqué, le noyau réticulé latéral et le noyau ambigu ; Une forte densité de fibres et de terminaisons apélinergiques est également présente dans la couche interne de l’éminence médiane et dans l’hypophyse postérieure, suggérant que les neurones apélinergiques du PVN et du SON se projettent, comme les neurones magnocellulaires vasopressinergiques et ocytocinergiques, dans l’hypophyse postérieure.
L’ARNm du récepteur de l’apéline est détecté dans ces mêmes structures. Des études de double marquage associant l’immunocytochimie et l’hybridation in situ ont montré dans le PVN et le SON, que l’apéline et son récepteur, tout comme ceux de l’AVP de type 1a et 1b (V1a et V1b), sont syn-thétisés par les neurones magnocellulaires vasopressinergiques. On sait depuis longtemps que ces neu-rones neurosécrétoires libèrent l’AVP, un peptide vasoconstricteur et antiaquarétique, dans les capil-laires fenêtrés de la neurohypohyse, en réponse aux variations d’osmolalité plasmatique et de volé-mie ou sous l’action de différentes neurohormones comme l’AngII/III et les peptides natriurétiques. On ignorait cependant jusqu’à tout récemment, quelle était la réponse apélinergique à ces mêmes stimuli.
Implication de l’apéline dans la régulation de l’équilibre hydrique et des fonctions cardiovasculaires
La colocalisation AVP/apéline dans les neurones magnocellulaires de l’hypothalamus et l’association des récepteurs de l’AVP et de l’apéline à ces mêmes neurones (Figure 2) suggéraient l’existence d’une étroite interaction entre ces deux neuropeptides. Aussi, nous avons postulé qu’indépendamment du rétrocontrôle exercé par l’AVP sur sa propre libération, l’apéline pouvait réguler la libération de l’AVP. Cette hypothèse a été testée dans le modèle de la rate en lactation, dans lequel il existe une hyperactivité des neurones magnocellulaires vasopressinergiques destinée à conserver au mieux le contenu hydrique de l’organisme pour une production optimale de lait.
Figure 2. Représentation schématique de l’action centrale de K17F. Chez la rate en lactation, K17F inhibe l’activité électrique phasique des neurones magnocellulaires vasopressinergiques et la sécrétion systémique de l’AVP, provoquant une augmentation de la diurèse aqueuse. L’encart sur la partie droite de la figure représente le corps cellulaire d’un neurone magnocellulaire doublement marqué en immunofluorescence : en vert avec un anticorps dirigé contre la vasopressine et en rouge avec un anticorps dirigé contre l’apéline
Dans ce modèle, l’apéline (K17F) injectée par voie centrale diminue l’activité électrique phasique des neurones vasopressinergiques, réduit la sécrétion d’AVP dans la circulation sanguine et entraîne une diurèse aqueuse. De la même façon, une réduction importante de la sécrétion systémique d’AVP est observée après injection i.c.v. des fragments d’apéline K17F ou pE13F chez des souris déshydratées pendant 24h, condition qui entraîne elle aussi une hyperactivité des neurones vasopressinergiques. On peut conclure de ces résultats que l’apéline pourrait, comme l’AVP, être libérée au niveau somatodendritique et exercer un effet inhibiteur direct sur l’activité phasique des neurones vasopressinergiques et la libération systémique d’AVP via des autorécepteurs synthétisés par ces neurones. Par ce mécanisme, l’apéline jouerait donc le rôle d’un inhibiteur naturel de l’effet anti-diurétique de l’AVP.
Bien que les deux peptides soient localisés dans les mêmes neurones, chez le rat déshydraté pendant 24h, l’hyperactivité des neurones vasopressinergiques et l’augmentation concomitante de la sécrétion systémique d’AVP s’accompagnent d’une diminution des taux d’apéline dans le plasma. On observe en parallèle, par immunohistochimie quantitative, une déplétion du contenu en AVP et une augmentation du contenu en apéline dans les neurones vasopressinergiques du PVN et du SON. Ceci implique que l’apéline et l’AVP soient libérées de façon différentielle par les neurones magnocellulaires vasopressinergiques dans lesquels elles sont colocalisées. En accord avec cette hypothèse, des études de double marquage en microscopie confocale ont montré que les deux peptides se retrouvent en grande partie dans des granules neurosécrétoires, de taille et de distribution distinctes, dans les neurones magnocellulaires.
Ces résultats démontrent que lors d’une déshydratation, l’apéline et l’AVP jouent un rôle complémentaire. Alors que l’augmentation de libération somatodentritique de l’AVP optimise l’activité phasique des neurones vasopressinergiques, facilitant la sécrétion d’AVP dans la circulation sanguine, l’apéline s’accumule dans ces neurones au lieu d’être libérée dans la circulation sanguine, provoquant une diminution de son activité inhibitrice et, par ce biais, une magnification de l’activité phasique des neurones vasopressinergiques. Cette régulation croisée de l’apéline et de l’AVP semble avoir une finalité biologique puisqu’elle permet de maintenir l’équilibre hydrique de l’organisme, en évitant une perte d’eau supplémentaire par les reins. Cette régulation fine et bien orchestrée est nécessaire puisque, de façon intrinsèque, l’AVP et l’apéline ont des actions opposées sur la diurèse.
Il est possible qu’en plus de cet effet central, l’apéline joue un rôle direct sur la diurèse à la périphérie. En effet, l’expression de l’ARNm du récepteur de l’apéline a été détectée dans le rein chez le rat et une immunoréactivité apéline a été visualisée dans le canal collecteur chez l’homme. Enfin, en accord avec un rôle de l’apéline dans la régulation de la balance hydrique qui dépend non seulement de la sécrétion d’AVP, mais aussi de la régulation de la soif et de la prise de sel, des fibres et des terminaisons apélinergiques ont été visualisées dans les centres de la soif et l’injection d’apéline par voie i.c.v. chez le rat déshydraté pendant 24h réduit la quantité d’eau ingérée.
Outre ces effets sur le contrôle de l’équilibre hydrique, l’apéline a aussi des effets cardiovasculaires propres. L’ARNm du récepteur de l’apéline a été détecté dans le myocarde et l’endothélium vasculaire. L’apéline injectée par voie systémique diminue la PA via un mécanisme dépendant de la production de NO. Dans le cœur du rongeur, l’apéline augmente la force contractile du myocarde par un effet inotrope positif tout en diminuant les pré- et post-charges. Par ailleurs, une augmentation de l’immunoréactivité apéline a été observée dans le plasma de patients ayant une insuffisance cardiaque à un stade précoce, alors qu’une diminution apparaîtrait à un stade plus sévère.
Conclusion
Les angiotensines et l’apéline exercent des effets opposés, mais néanmoins complémentaires, jouant un rôle crucial dans le maintien de l’équilibre hydrique et des fonctions cardiovasculaires.
La découverte de l’APA comme enzyme responsable de la formation de l’AngIII cérébrale et le rôle prépondérant de ce peptide dans le contrôle central de la PA a ouvert la voie au développement d’inhibiteurs spécifiques et sélectifs de l’APA, actifs par voie systémique comme agents antihypertenseurs à action centrale.
La découverte de l’apéline comme ligand endogène du récepteur orphelin APJ, constitue une avancée importante au plan fondamental et, potentiellement, au plan clinique. Au plan fondamental, elle représente un bon exemple de la validité de l’approche de ” désorphanisation ” des récepteurs orphelins pour l’identification de nouveaux peptides bioactifs et de nouvelles cibles thérapeutiques. Les données expérimentales obtenues jusqu’ici démontrent que l’apéline, par son rôle inhibiteur sur l’activité électrique phasique des neurones vasopressinergiques et la sécrétion systémique d’AVP, induit une diurèse aqueuse. À la périphérie, elle augmente la force contractile du myocarde tout en diminuant les résistances périphériques. L’ensemble de ces données montre que ce nouveau (neuro)peptide vasoactif circulant pourrait intervenir dans le maintien de l’équilibre hydrique et des fonctions cardiovasculaires. Sur le plan clinique, le développement d’agonistes non peptidiques du récepteur de l’apéline, fondé sur la connaissance de la structure de l’apéline et de celle de son récepteur, pourrait offrir de nouveaux outils thérapeutiques pour le traitement des rétentions hydriques, des hyponatrémies et des maladies cardiovasculaires.
Remerciements
Je tiens tout particulièrement à remercier toutes les personnes ayant travaillé dans le laboratoire à l’obtention de ces données: R. Alvear, C. Claperon, N. De Mota, S. El Messari, C. Fassot, A. Frugière, A. Hus-Citharel, L. Bodineau, X. Iturrioz, A. Reaux, G. Vazeux, S. Zini. Parmi eux, de jeunes chercheurs qui vont à leur tour perpétuer notre discipline, la Neuroendocrinologie.
Une grande partie des travaux présentés ont été réalisés en collaboration avec des unités Inserm, U266 (Pr. B.P. Roques), U36 (Pr. P. Corvol), U413 (Pr. H. Vaudry) et CNRS UMR 5101 (Dr. F .Moos), UMR 7565 (Dr. B. Maigret) de différentes spécialités allant de la neuroendocrinologie au cardiovasculaire en passant par la chimie organique et la modélisation moléculaire sans oublier les compagnons de toujours comme les laboratoires de Neuromorphologie du Pr. M. Palkovits (Université Semmelweis, Budapest, Hongrie) et d’Imagerie Fonctionelle du Pr. A. Beaudet (Montreal Neurological Institute, McGill University, Montreal, Canada).
Pour en savoir plus :
Zini et al, Proc Natl Acad Sci U S A.1996, 93(21):11968-73
Reaux et al, Proc Natl Acad Sci U S A.1999;96(23):13415-20.
Llorens-Cortes et al, Journal of Renin-Angiotensin Aldosterone System, 2002, 3 (supl.1) 539-548;
Reaux et al, Neuroscience. 2004;113(3):653-62.
De Mota et al, Proc Natl Acad Sci U S A. 2004 ;101(28):10464-9.
El Messari et al, J Neurochem. 2004;90(6):1290-301.
Fournié-Zaluski et al, Proc Natl Acad Sci U S A. 2004;101(20):7775-80.
Kleinz et al, Pharmacol Ther. 2005,107(2):198-211.
Llorens-Cortes et al, Med Sci (Paris). 2005;21(8-9):741-6.