Sébastien Bouret a présenté cette année la Lecture Jacques Benoit (fondateur de la SNE) le 10 août 2022 lors du Congrès International de Neuroendocrinologie (ICN 2022) qui s’est tenu à Glasgow. Il est Directeur de Recherches au CNRS et effectue ses recherches au sein de l’équipe
« Développement et Plasticité du Cerveau Neuroendocrine » du centre de recherche Inserm Lille Neurosciences & Cognition. Spécialiste en neuroendocrinologie, ses recherches portent sur les facteurs hormonaux, moléculaires, et cellulaires impliqués dans le neurodéveloppement et l’impact de ceux-ci sur la régulation du métabolisme.
Déjà lauréat de la médaille de Bronze du CNRS en 2014, Sébastien est l’auteur de plus de 120 publications dans des revues parmi les plus prestigieuses.
Développement des Réseaux Neuronaux Hypothalamiques Contrôlant la Balance Énergétique
Sébastien G Bouret
Inserm UMR-S 1172, Lille Neuroscience & Cognition,
Équipe Développement et Plasticité du Cerveau Neuroendocrine, Lille, France
Il est désormais admis que l’environnement qui entoure les individus dès leur conception joue un rôle fondamental sur la mise en place de certains mécanismes physiopathologiques. Ainsi, la nutrition de la mère enceinte et celle du nourrisson pendant l’allaitement conditionneraient le risque d’obésité et de syndrome métabolique de ce dernier à l’âge adulte.
Le cerveau, et en particulier l’hypothalamus, joue un rôle central dans le contrôle de la prise alimentaire et de la régulation glucidique. Il est composé de noyaux et neurones capables de répondre directement aux hormones périphériques contrôlant l’appétit telles que la leptine et la ghréline. Un rôle particulièrement important a été donné au système mélanocortinergique qui est composé des récepteurs aux mélanocortines (MC3R et MC4R), notamment dans le noyau paraventriculaire, et leurs ligands l’α-MSH (agoniste produit du clivage de la pro-opiomelanocortine – POMC) et l’agouti-related peptide (AgRP, antagoniste inverse) produits par les neurones du noyau arqué. Les neurones à AgRP ont aussi la particularité de co-exprimer le neuropeptide Y (NPY) qui est l’un des neuropeptides orexigènes les plus puissants.
Le développement de l’hypothalamus se caractérise par deux étapes principales : la première consiste en la détermination du nombre de neurones qui inclut la naissance de nouveaux neurones à partir de progéniteurs (i.e., la neurogenèse) et leur différenciation. La seconde étape est la formation des circuits neuronaux incluant la mise en place des projections axonales et la synaptogenèse.
Le développement de l’hypothalamus débute au moment de la formation de la vésicule diencéphalique. A ce stade, le neuroépithélium du troisième ventricule constitue une zone proliférative dont les cellules progénitrices situées dans la partie ventrale vont donner naissance aux neurones hypothalamiques post-mitotiques terminaux. L’utilisation de techniques d’incorporation d’analogue de la thymidine pendant la phase S de réplication de l’ADN, comme la thymidine tritiée (1-3) ou plus récemment l’utilisation de la 5-bromo-2’-dexoyuriduine (BrDU) a permis de définir précisément le profil de genèse des neurones hypothalamique (4, 5). Cette période neurogénique est assez large et s’étend de du dixième jour de vie embryonnaire (E10) à E16/E17 chez le rongeur, avec une activité neurogénique maximale à E11-E12. Des études immunhistochimiques ou d’hybridation in situ ont révélé que le phénotype des neurones hypothalamiques est déterminé précocement puisque très tôt après leur formation, les neurones sont immunoréactifs ou expriment l’ARNm des neuropeptides qu’ils vont contenir. Par exemple, les neurones néo-formés de l’aire hypothalamique latérale expriment la melanin-concentrating hormone dès E12 (6). Les neurones à POMC et à NPY du noyau arqué présentent un profil de différenciation particulier puisque ces deux populations neuronales possèdent des précurseurs communs exprimant la Pomc (4). En effet, Padilla et al ont montré́ que la neurogenèse des neurones à POMC précède celle des neurones à NPY et qu’une partie des neurones exprimant la Pomc lors du développement donnent naissance à des neurones à NPY (4).
Une fois les structures hypothalamiques formées, les neurones émettent des projections axonales vers leurs zones cibles afin de former les réseaux neuronaux qui contrôleront la balance énergétique et l’homéostasie glucidique. L’ontogenèse de ces réseaux hypothalamiques est une étape cruciale qui se déroule, selon les circuits neuronaux, pendant la période pré- ou post-natale.
L’utilisation du DiI, un traceur neuronal antérograde, a permis de définir précisément les périodes d’ontogenèse des divers réseaux neuronaux intra- hypothalamiques chez la souris. La mise en place des projections axonales du noyau arqué s’établit ainsi entre entre le sixième jour de vie post-natale (P6) et P16 (7). Les projections des noyaux dorso- et ventro-médians vers le noyau paraventriculaire et l’aire hypothalamique latérale s’établissent avant celles du noyau arqué puisque leurs projections sont respectivement matures à P6 et à P10 (7). En revanche, certaines projections efférentes du noyau paraventriculaire se développent lors de la vie prénatale puisque des projections issues du noyau paraventriculaire sont retrouvées dans l’éminence médiane dès E14 (8). La dernière étape de la formation des réseaux hypothalamiques est la formation de synapses fonctionnelles. La période de synaptogenèse hypothalamique est peu connue mais semble se former tardivement chez le rongeur. Au niveau du noyau arqué, très peu de synapses sont détectables à la naissance et les connections synaptiques se mettent en place progressivement (9). Ainsi, à P20 seulement la moitié des synapses sont formées par rapport à P45 où le nombre de synapses a atteint un niveau constant (10).
En résumé, chez le rongeur, l’hypothalamus se développe pendant deux périodes : la vie fœtale (i.e., la gestation) et la vie post-natale précoce (i.e., la lactation). Ces deux fenêtres de développement correspondent donc à des périodes critiques de vulnérabilité pendant lesquelles des altérations d’une ou de plusieurs étapes du développement hypothalamique peuvent engendrer des anomalies de la régulation du métabolisme à l’âge adulte.
Il est connu pour d’autres systèmes neuronaux (par exemple pour les circuits gouvernant la fonction de reproduction) que l’ontogenèse de ces réseaux requiert l’action de multiples facteurs hormonaux (e.g., estrogènes, androgènes) (voir (11) pour revue). Il en est de même pour la mise en place des réseaux neuronaux de l’hypothalamus contrôlant la balance énergétique. Ainsi, la leptine (une hormone produite par les adipocytes) exerce un effet neurotrophique sur la formation des circuits neuronaux issus du noyau arqué. Les taux de leptine plasmatique augmentent transitoirement lors de la seconde semaine de vie post-natale et forment ainsi un pic de leptine néonatale (12). Malgré la présence de récepteurs à la leptine fonctionnels dans le noyau arqué pendant cette période (13), l’administration de leptine n’a aucun effet sur la prise alimentaire, montrant que la leptine n’agit pas comme un facteur anorexigène pendant la période néonatale. Les souris déficientes en leptine (souris ob/ob) présentent une diminution dramatique de la densité des axones émanant du noyau arqué et innervant le noyau paraventriculaire et ces altérations sont permanentes puisque les circuits mélanocortinergiques sont également fortement altérés à l’âge adulte (14). Cet effet neurodéveloppemental de la leptine a été confirmé par des expériences in vitro montrant que la leptine agit directement sur les neurones du noyau arqué pour en promouvoir la pousse axonale (14). Les effets neurotrophiques de la leptine sont limités à la période développementale puisque des injections quotidiennes de leptine de P4 à P12 permettent de restaurer les projections du noyau arqué chez les ob/ob alors que ce même traitement à l’âge adule ne parvient pas à modifier la densité des fibres (14).
D’autres études ont montré que la cinétique d’action de la ghréline néonatale (une hormone sécrétée par l’estomac) est également cruciale pour la mise en place des circuits neuronaux du noyau arqué. Les taux de ghréline circulants augmentent graduellement lors de la vie néonatale pour atteindre un niveau comparable aux taux observés chez l’animal adulte dès P14 (15). La neutralisation de la ghréline spécifiquement lors de la vie néonatale altère la régulation du métabolisme à long terme avec l’induction d’un surpoids, d’une augmentation de l’adiposité, d’une hyperglycémie, et d’une hyperphagie (15). Les souriceaux injectés avec l’anti-ghréline présentent également une augmentation anormale de la densité des fibres du noyau arqué vers le noyau paraventriculaire (15). Tout comme la leptine, la capacité de la ghréline à moduler la mise en place des circuits neuronaux hypothalamiques est limitée à la période post-natale précoce puisque l’injection chronique d’anti-ghréline à l’âge adulte n’a pas d’effet sur l’architecture des circuits mélanocortinergiques.
Comme évoqué précédemment, des études épidémiologiques et expérimentales ont associé l’obésité
maternelle à un risque augmenté de dysfonctionnements métaboliques chez la descendance. De façon intéressante, le pic de sécrétion de leptine mesuré dans le plasma des rongeurs nouveau-nés dépend du statut métabolique de la mère. L’obésité ou le diabète maternel induit une augmentation du pic de leptine (16, 17), tandis que la malnutrition pendant la gestation et/ou la vie post-natale induit une diminution voire à une absence du pic néonatal de leptine (18, 19). De plus une obésité, un diabète, ou une malnutrition maternelle semble diminuer la sensibilité à la leptine des neurones du noyau arqué des animaux nouveaux-nés (16, 17, 19). Ces modifications nutritionnelles de la leptinémie et de la sensibilité à la leptine pendant la période néonatale altèrent la mise en place des projections axonales du système à mélanocortine de l’hypothalamus (16-19).
L’ensemble de ces travaux met en exergue l’importance d’un environnement hormonal périnatal adéquat, qui dépend de l’état nutritionnel et métabolique de la mère, pour un développement et une fonction harmonieuse des réseaux neuronaux impliqués dans la régulation de la balance énergétique.
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