Paul Pévet
Neurobiologie des Rythmes, UMR 7518 CNRS-Université L. Pasteur, Strasbourg, France.
C’est en 1935 que Jacques Benoît démontra que la lumière était capable de stimuler le développement testiculaire du canard et qu’il développa le concept d’un axe photoneuroendocrine. Nous savons maintenant que la glande pinéale, du moins chez les mammifères, est un des éléments clefs de ce système photoneuroendocrine.
L’existence de la glande pinéale (ou épiphyse) est connue chez l’homme depuis l’antiquité et diverses fonctions lui ont été assignées au cours des siècles dont la plus fameuse est, selon Descartes, d’être le siège de l’âme. Ce n’est qu’à la fin du XIXème siècle, suite à plusieurs observations cliniques, qu’une action endocrine fut suggérée. En 1898, Heubner décrivit le cas de jeunes enfants présentant une puberté précoce, trouble qu’il associa à un hypopinéalisme résultant d’une tumeur épiphysaire. Dès lors, la pinéale fut perçue comme une glande endocrine exerçant un effet inhibiteur sur l’axe reproducteur via la sécrétion d’une hormone antigonadotrope. Par la suite, l’existence de relations pinéale-activité sexuelle fut confirmée et jusque dans les années 1970-1980, de nombreuses équipes cherchèrent à identifier l’hormone antigonadotrope. Il faut rendre ici un hommage particulier à Mme A. Mozskowska, du laboratoire de J. Benoît, qui y consacra sa vie scientifique.
Des fractions peptidiques ou protéiques actives sur l’axe sexuel furent isolées de divers extraits épiphysaires. Dans les années 1970-1980 une série de publications présenta la vasotocine comme l’hormone antigonadotrope de la glande pinéale. J’ai pu infirmer ce résultat en démontrant que les activités biologiques décrites s’expliquaient en fait par la présence de vasopressine et d’oxytocine dans des fibres nerveuses originaires de l’hypothalamus. Ce résultat est à la base des travaux actuels sur le rôle des innervations peptidergiques dans la glande pinéale, un axe de recherche important du laboratoire.
Au cours des années 60 il s’est avéré que des corrélations épiphyso-gonadiques nettes ne pouvaient être mises en évidence que dans des situations physiologiques particulières, notamment celles induites par des manipulations de l’environnement. L’expérience princeps qui a permis la compréhension du rôle exact de la pinéale (18 ans plus tard) date des années 1964 (Czyba et Girod en France) et 1965 (Reiter, USA). Chez le hamster doré, l’inhibition sexuelle consécutive à l’exposition à l’obscurité n’est plus observée après l’ablation de la pinéale. Le résultat fut interprété en utilisant le concept de l’époque : l’obscurité stimulerait la synthèse par la pinéale d’une hormone antigonadotrope. Après pinéalectomie l’inhibition sexuelle n’est pas observée car la source de l’hormone antigonadotrope est tarie.
La mélatonine avait été isolée et caractérisée en 1958. L’observation que la quantité de cette hormone était plus importante la nuit que le jour permis de penser qu’à côté d’hormones peptidiques, la mélatonine pouvait aussi être une hormone antigonadotrope. Effectivement, une vingtaine d’années plus tard (1976), un effet “antigonadotrope ” de la mélatonine a pu être mis en évidence, mais dans des conditions si particulières, que le concept même d’hormone antigonadotrope a progressivement été remis en question. En effet, d’une part la pinéalectomie n’entraînait des effets observables que par rapport à des réponses photopériodiques, et d’autre part, si la mélatonine pouvait effectivement agir sur l’activité des gonades, ce n’était que chez des espèces photopériodiques. Nous savons aujourd’hui que le rôle de la pinéale est de permettre l’intégration du message photopériodique, ce qui a été expérimentalement démontré dans les années 1980-1983. La glande pinéale est donc un des éléments de l’axe photoneuroendocrine qui, avec une ou des horloges biologiques, divers noyaux hypothalamiques, la pars tuberalis de l’adénohypophyse et probablement d’autres structures, permet l’anticipation et l’adaptation des êtres vivants aux variations journalières et saisonnières de l’environnement.
Les horloges biologiques sont le siège de manifestations rythmiques qui persistent en situation d’isolement (prouvant ainsi leur nature endogène) avec une période proche de 24 heures (horloge circadienne). Elles sont entraînées à 24 heures précises par divers synchroniseurs externes, en particulier le cycle jour-nuit. Les mécanismes moléculaires impliqués dans la genèse des rythmes commencent à être compris. Plusieurs gènes ” horloge ” ont été identifiés (Clock, Per1, Pe2r, Per3, Tim, Bma1l, Cry1, Cry2, etc.) que l’on retrouve d’ailleurs dans tous les ordres du vivant). Ces gènes codent pour des protéines facteurs de transcription formant deux boucles d’autorégulation, l’une négative et l’autre positive, qui sont à la base de l’oscillation circadienne. A partir de là, il nous faut savoir et comprendre comment les mécanismes moléculaires peuvent engendrer au sein d’une horloge multicellulaire un signal circadien unique, comment les horloges distribuent ce signal circadien et comment celui-ci est intégré et interprété aux divers niveaux d’organisation de l’organisme. Il nous faut également déterminer comment les horloges elles-mêmes sont synchronisées par les divers facteurs de l’environnement et comprendre les mécanismes cellulaires et moléculaires impliqués. Reste aussi à déterminer comment, à partir du système circadien, est construit et distribué le message photopériodique impliqué dans le contrôle des fonctions saisonnières.
Chez les Mammifères, l’horloge circadienne est localisée dans les noyaux suprachiasmatiques de l’hypothalamus. Le rôle des fibres afférentes glutamatergiques, NPYergiques et 5-HTergiques ainsi que les mécanismes moléculaires impliqués dans les mécanismes d’entraînement par les facteurs photiques et non-photiques sont activement étudiés. Une fois construit, le signal circadien est transmis à d’autres structures du cerveau par la libération rythmique de différents neurotransmetteurs (en particulier GABA et Vasopressine) au niveau des terminaisons nerveuses efférentes. En ce qui concerne la pinéale, à partir des noyaux suprachiasmatiques, les informations photiques sont transférées par une voie polyneuronale se terminant par des fibres noradrénergiques originaires des ganglions cervicaux supérieurs. Dans la glande pinéale, le message nerveux se traduit en un message hormonal, la sécrétion rythmique de mélatonine. La régulation de cette sécrétion est très complexe tant au niveau moléculaire que cellulaire. L’expression du rythme de mélatonine dépend des noyaux suprachiasmatiques, mais la durée de cette sécrétion nocturne est proportionnelle à la longueur de la nuit. Ce sont les changements de la durée et de l’amplitude de cette sécrétion qui permettent à l’organisme de mesurer la photopériode. Ces variations saisonnières du rythme de sécrétion nocturne de mélatonine dépendent, pour partie, d’une régulation particulière par les neuropeptides de l’enzyme finale de la synthèse de mélatonine, l’hydroxy-indole-O-methyltransférase. La question du lieu de construction du message photopériodique reste ouverte. L’horloge circadienne, dont l’activité elle-même dépend de la photopériode, semble être impliquée mais d’autres structures, comme les feuillets intergéniculés latéraux du thalamus ou la pinéale elle-même, jouent un rôle plus ou moins important selon les espèces. La façon dont l’organisme interprète les variations du pic nocturne de mélatonine fait toujours l’objet d’une recherche intense. L’hormone agit par l’intermédiaire de récepteurs membranaires couplés à des protéines G (mt1 et MT2 clonés à ce jour chez les Mammifères ; un autre type de récepteur MT3 a également été cloné) et des récepteurs de la mélatonine sont présents dans de nombreuses structures cérébrales et périphériques. Il est à noter, qu’en fonction des espèces, il existe une très grande variabilité dans le nombre et la nature des structures cérébrales concernées. La pars tuberalis de l’adénohypophyse, qui contient une forte densité de récepteurs, est impliquée dans la régulation saisonnière de la sécrétion de prolactine, alors que l’hypothalamus médio-basal serait impliqué dans le contrôle saisonnier de la LH. En fait, il apparaît que, pour assurer le contrôle photopériodique d’une fonction saisonnière donnée, la mélatonine doit agir simultanément sur plusieurs structures cérébrales.
Des récepteurs de la mélatonine sont aussi présents dans les noyaux suprachiasmatiques de la plupart des espèces. Ceci suggère un effet de rétrocontrôle de la mélatonine et permet de penser que la mélatonine exogène est capable d’agir sur le fonctionnement de l’horloge (propriété chronobiotique). Expérimentalement, nous avons effectivement pu montrer que cette hormone est capable d’entraîner l’activité locomotrice circadienne de différents rongeurs et que cet effet est aussi dépendant de la durée d’administration de l’hormone. La synthèse de mélatonine est sous le contrôle des noyaux suprachiasmatiques. Le rythme de sécrétion de mélatonine peut donc être utilisé par l’horloge pour distribuer, par voie endocrine, son message circadien. Toutes les structures qui contiennent des récepteurs de la mélatonine, dans le système nerveux central et à la périphérie, sont donc potentiellement des structures cibles, nécessaires à l’organisation circadienne de diverses fonctions. La sécrétion nocturne de mélatonine, de par son expression rythmique, apporte donc un message à la fois saisonnier et circadien qui permet à l’organisme de s’organiser temporellement.
Paul Pevet – 2001