Patrice Mollard
Institut de Génomique Fonctionnelle, CNRS UMR 5203, INSERM U661, Universités de Montpellier 1 & 2, Montpellier France
Correspondance : Patrice.Mollard@igf.cnrs.fr
L’hypophyse antérieure constitue la glande maîtresse de notre système endocrine. A ce titre, elle synthétise et sécrète dans la circulation générale plusieurs hormones essentielles à un grand nombre de fonctions physiologiques aussi importantes que la croissance et le métabolisme (GH et TSH), la reproduction et la lactation (LH, FSH, PRL) ou encore le stress (ACTH). Comme pour la plupart des systèmes endocrines, l’efficacité d’action de ces hormones dépend largement de leur profil de sécrétion au cours du temps. La prise de conscience de cette donnée temporelle représente une avancée majeure en endocrinologie médicale. Ainsi, l’injection d’une dose unique et massive d’hormone de croissance (GH) est nettement moins efficace pour le traitement de certains déficits de croissance que des injections multiples de doses faibles, mimant le rythme de sécrétion endogène de GH (1-2). Quels mécanismes sont mis en oeuvre par notre organisme pour donner à l’hypophyse son caractère pulsatile, essentiel à son efficacité ?
Depuis la période riche en événements scientifiques des années 50-70 (3), nous savons que l’hypothalamus contrôle les sécrétions hypophysaires par des neuro-hormones libérées de façon pulsatile dans le système porte hypothalamo-hypophysaire. Par exemple, le rythme de GH résulte probablement des sécrétions anti-parallèles de neuro-hormones activatrice (GHRH) et inhibitrice (SRIF) (4). Cependant, si l’hypothalamus impose un certain tempo aux sécrétions hypophysaires, un phénomène d’intégration dans l’hypophyse joue vraisemblablement un grand rôle dans l’amplitude des pics hormonaux qui ne peut être expliquée par la simple somme des activités unitaires.
Mais notre vision du fonctionnement de l’axe hypopthalamo-hypophysaire a changé à l’aube du 21ème siècle. Tout d’abord, nous avions hérité du siècle dernier une image plane de la glande hypophysaire, dans laquelle les cellules endocrines apparaissaient dispersées au sein du parenchyme, sans apparente organisation. Au début des années 2000, l’arrivée de nouvelles microscopies ainsi que l’avènement de la transgénèse ciblée des cellules hypophysaires permettant de faire exprimer, sous le contrôle du promoteur du gène de l’hormone, une protéine fluorescente ou luminescente de son choix dans tel ou tel type cellulaire ont fait la lumière sur l’organisation fonctionnelle en 3-D des cellules hypophysaires. En quelques mots, des faits marquants de cette nouvelle épopée :
1) Les cellules endocrines s’organisent très tôt lors de leur développement fœtal en réseaux cellulaires dans le parenchyme de la glande et ce même pour les types cellulaires peu représentés comme les cellules corticotropes et gonadotropes (5-7)
2) Ces réseaux cellulaires sont organisés les uns par rapport aux autres dans le parenchyme (voir la figure 1 pour les réseaux de cellules somatotropes et lactotropes) (6, 8) et également par rapport à la microcirculation sanguine (9-12). A noter le réseau de cellules corticotropes serait un support structurel et fonctionnel pour d’autres réseaux cellulaires (6), ce qui est en accord avec la présence première de ces cellules corticotropes lorsque l’hypophyse est reconstruite en boite de culture (13)
3) Ces réseaux cellulaires sont le support fonctionnel de communications intercellulaires à l’échelle de la seconde (5, 14-17) jusqu’à plusieurs heures (18-19) qui sont à la base de gains de fonction, par exemple dans le dimorphisme sexuel de la croissance corporelle (17), et même de stockage d’information sur plusieurs semaines à plusieurs mois dans des modèles murins (16), hissant ainsi le système endocrine au même titre que les systèmes nerveux et immunitaire dans leur capacité à stocker et mémoriser des informations sur le long terme
Figure : Vue tri-dimensionnelle des relations entre les réseaux de cellules somatotropes (GH-eGFP, vert) et de cellules lactotropes (PRL-DsRed, rouge) dans l’hypophyse d’une souris allaitante.
Perspectives
Quel bouleversement en une dizaine d’années ! Et comment maintenant doit-on comprendre, et éventuellement manipuler, les mécanismes qui régissent les pulsatilités des hormones hypophysaires qui régissent des fonctions de base de notre organisme ? D’un coté, il y a l’évidence toujours grandissante que les ensembles de neurones hypophysiotropes comme les neurones GnRH (20) ou, tout dernièrement montrés, les neurones dopaminergiques TIDA (21) génèrent des activités rythmiques. D’un autre coté, une stimulation unique hypothalamique (type GHRH) est capable d’induire des rythmes dans les réseaux endocrines hypophysaires (8). Là encore, l’emploi de nouvelles techniques comme le contrôle d’activités nerveuses/cellulaires par des protéines photo-activables (outils optogénétiques (22), devrient nous permettre de faire un bond en avant dans notre compréhension des rythmes neuroendocrines, qui furent si chers dans le cœur des fondateurs de la neuroendocrinologie comme le Pr. Jacques Benoit.
Références :
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