Nicolas de Roux a présenté cette année la Lecture Jacques Benoit (fondateur de la SNE) le 28 septembre 2023 lors du 45e Colloque de la SNE qui s’est tenu à Rouen.
Nicolas de Roux est Médecin-Biologiste, chef du service de Biochimie-Hormonologie à l’hôpital pédiatrique Robert Debré (Paris), professeur de Biochimie-Biologie Moléculaire à l’université Paris Cité et responsable d’une équipe INSERM (PUB-NeD ; Puberty and Neuroendocrine network Development, U1141). Après des études de médecine à Paris, et une spécialisation en biologie médicale, Nicolas de Roux a rejoint en 1991, le laboratoire de Biochimie/Biologie Moléculaire et l’unité INSERM du Professeur Milgrom pour prendre des fonctions hospitalières et faire une thèse d’université sur la génétique moléculaire des maladies de la Thyroïde. A l’issue de cette thèse, Nicolas de Roux a progressivement abordé les maladies de la puberté. L’objectif était déjà double : mieux comprendre la génétique des maladies endocriniennes rares et proposer de nouveaux mécanismes physiopathologiques. Cette approche très innovante lui a permis de montrer le lien entre le système des Kisspeptin et le déficit gonadotrope ce qui a ouvert un nouveau champ d’investigation en physiologie neuroendocrinienne de l’axe gonadotrope, décrire un nouveau syndrome et participer à la description d’autres gènes du déficit gonadotrope. Nicolas de Roux a poursuivi ce projet via une équipe Avenir qui a été transformée en équipe INSERM (U1141). Il a donc rejoint la Neuroendocrinologie via la génétique humaine ce qui lui a permis de confronter les résultats de son équipe aux modèles de physiologie développés chez les rongeurs notamment. Ces interactions avec des équipes de Neurosciences lui ont permis de nourrir sa réflexion et d’orienter ses recherches vers des phénotypes plus neurodéveloppementaux et d’aborder la problématique complexe des mécanismes de la puberté précoce centrale. Les travaux récents de l’équipe de Nicolas de Roux sont orientés sur le lien « Hormones et Neurodéveloppement » du développement in-utero jusqu’à la puberté.
Au-delà de son activité clinique et de recherche, Nicolas de Roux enseigne à la faculté de Médecine Paris Cité et participe à de nombreux enseignements de deuxième et troisième cycle. Il participe également à diverses instances universitaires et hospitalière.
La génétique des maladies de l’initiation de la puberté :
Où nous en sommes en 2024 ?
Nicolas de Roux
Laboratoire de Biochimie-Hormonologie. INSERM U1141. Hôpital Robert Debré. 75019 Paris. Université Paris-Cité.
Introduction.
Les maladies de l’initiation de la puberté sont des maladies définies par une absence de puberté associée à un déficit gonadotrope ou une puberté survenant trop tôt suite à la réactivation précoce de l’axe gonadotrope. Le déficit gonadotrope congénital est une maladie rare alors la puberté précoce centrale est considérée comme une pathologie rare lorsqu’elle est familiale ou bien syndromique. De nombreux gènes ont été décrits depuis la description en 1991 des mutations perte de fonction du gène ANOS1 (KAL1) (1) dans le syndrome de Kallmann qui associe déficit gonadotrope et une anosmie, suivi par les premières mutations du gène du récepteur de la GnRH en 1997 dans une famille avec déficit gonadotrope isolé sans anosmie (2). La classification clinique initiale basée sur la présence d’anosmie a depuis été revue en une classification basée sur l’ensemble des signes associés au déficit gonadotrope ce qui a permis de mieux comprendre les modes de transmission, la variabilité de l’expression phénotypique et de proposer de nouveaux mécanismes physiopathologiques (3) . Au-delà de la description de ces mécanismes moléculaires, la génétique moléculaire du déficit gonadotrope a permis des avancées majeures dans la compréhension de la physiologie de l’axe gonadotrope et plus largement du contrôle neuroendocrinien de la reproduction. L’ensemble de ces travaux a montré que le déficit gonadotrope congénital est un défaut de l’activité du réseau de neurones qui contrôle la sécrétion de la GnRH ou son action sur l’hypophyse. Ils ont également démontré que les mécanismes de l’hypogonadisme hypogonadotrope sont globalement différents des mécanismes du retard pubertaire simple.
A l’autre opposé du spectre des maladies de l’initiation de la puberté, la puberté précoce centrale (PPC) est clairement une maladie du timing de l’initiation de la puberté. Contrairement au déficit gonadotrope, il s’agit d’une maladie temporaire définie par une puberté survenant trop tôt, par ailleurs normale dans son déroulement dans la majorité des cas et sans conséquence évidente sur la fonction de reproduction à l’âge adulte, la PPC est alors dite idiopathique (PPCi). La majorité des cas de PPCi sont sporadiques, les formes familiales représentent environ 25% (4). La PPC peut être syndromique ou bien associée à une tumeur ou un hamarthome (5). Contrairement, au déficit gonadotrope congénital, les gènes associés à la PPCi sont pour l’instant limités à 2 gènes majeurs (MKRN3, DLK1) (6-8) qui expliquent la majorité des PPC transmise par le père. Le mécanisme actuellement proposé est une levée trop précoce du mécanisme physiologique qui restreint la maturation post-natale du réseau GnRH durant l’enfance. Dix ans après la description des mutations perte de fonction de MKRN3, aucun autre gène majeur de la PPCi n’a été décrit notamment dans les formes familiales transmises par la mère. Globalement, il apparait que la PPCi familiale est une pathologie génétique qui semble plus complexe que le déficit gonadotrope isolée.
Mise à part des situations exceptionnelles, les gènes du déficit gonadotrope ne sont pas ceux de la PPCi. Il s’agit de deux pathologies dont les mécanismes moléculaires sont différents. Au cours de cette présentation, il sera présenté plusieurs exemples qui illustrent l’apport de la génétique dans la compréhension des maladies de l’initiation de la puberté et leur prise en charge.
Le récepteur de la GnRHR : un gène candidat logique
Quelques années après la description des premières mutations du gène KAL1 et la démonstration que le déficit gonadotrope était dû à un défaut de migration des neurones GnRH de la placode olfactive vers l’hypothalamus(1), il était logique de considérer le récepteur de la GNRH comme le gène candidat le plus probable d’autant que le gène codant pour la GnRH avait été exclu. Les premières mutations perte de fonction de ce récepteur ont été décrites dans une famille présentant un déficit gonadotrope partiel (2). Bien qu’il n’y ait aucun doute sur le caractère pathogène des 2 mutations décrites dans cet article initial, il est intéressant de noter qu’elles sont relativement fréquentes dans la population générale. La fréquence de la substitution Gln106Arg est de 0,35% avec des individus homozygotes pour cette substitution dans les bases de données de population générale. Cette fréquence est en partie expliquée par le déficit gonadotrope partiel et parfois réversible que l’on peut observer chez certains patients (3). Cette fréquence relativement élevée pour un variant impliqué dans une pathologie rare et la présence d’homozygotes sont souvent deux critères utilisés pour rejeter l’hypothèse d’un variant candidat dans les analyses d’exome et de génome. Les critères appliqués pour des maladies génétiques avec un phénotype marqué dés l’enfance ne sont pas obligatoirement adaptés pour une pathologie qui peut être méconnue tel qu’un déficit gonadotrope partiel. Les mutations bi-alléliques du GnRHR représentent le mécanisme génétique le plus fréquent de déficit gonadotrope isolé sans anosmie notamment dans les familles consanguines. Une mutation hétérozygote du GnRHR est fréquemment détectée dans les formes avec transmission oligogénique (9).
Le récepteur des kisspeptin et les kisspeptin : la description d’un couple ligand/récepteur qui a permis de mieux comprendre la physiologie de l’axe gonadotrope.
Le screening du gène GNRHR dans le CHH a rapidement démontré qu’il existait au moins un autre gène majeur associé au CHH dans les familles avec possible transmission récessive. L’analyse d’une famille très informative a confirmé cette hypothèse en décrivant la première inactivation du récepteur des Kisspeptin codé par le gène KISS1R (GPR54) (10). Ce résultat était inattendu puisque les kisspeptin étaient connus pour une possible activité anti-métastatique (11). Rapidement, ce résultat a été confirmé par la description de mutations dans une autre famille aux USA (12) puis par la description d’autres mutations perte de fonction de KISS1R (13-15) mais également dans le gène KISS1 qui code pour les kisspeptin (16). A partir de ces résultats de génétique humaine qui suggéraient un effet majeur de ce couple ligand-récepteur dans la physiologie de l’axe gonadotrope, de nombreuses équipes ont participé à la description de la fonction des kisspeptin dans l’axe gonadotrope.
En résumé, les principaux points sont les suivants :
- Les kisspeptin stimulent la sécrétion de la GnRH par les neurones GnRH via le récepteur KISS1R. Il n’existe pas d’argument en faveur d’un autre récepteur.
- Ils sont responsables de la sécrétion pulsatile de la GnRH.
- Ils sont le relais du rétro-contrôle négatif des stéroïdes sexuels mais également positif de l’estradiol sur l’axe gonadotrope.
- Chez les rongeurs, les kisspeptin sont exprimés dans le noyau arqué et dans le noyau antéro-ventro-périventriculaire de l’hypothalamus, deux régions connues pour participer au contrôle de l’axe gonadotrope.
- Chez la souris, ils sont impliqués dans le contrôle du pic ovulatoire de LH via le contrôle du pic de GnRH. Cet effet est moins évident chez la femme (17).
- L’activité du couple Kisspeptin/KiSS1R augmente au début de la puberté.
- Les kisspeptin ont un effet pharmacologique sur le comportement sexuel (18).
- Les kisspeptin sont également impliquées dans le contrôle du métabolisme énergétique bien que cette fonction soit moins importante que le contrôle de l’axe gonadotrope.
En dehors de cette fonction neuroendocrine, les kisspeptin possèdent également une activité antimétastique. Il est important de noter que le phénotype de l’inactivation de KISS1R in-vivo aussi bien dans l’espèce humaine que chez la souris est limitée à un déficit gonadotrope. La réexpression de Kiss1R dans les neurones GnRH suffit aux souris Kiss1R-/- pour retrouver une fertilité normale.
Malgré le nombre considérable d’articles publiés depuis 2003 sur les Kisspeptin/KISS1R, il reste des inconnus ou du moins des incertitudes sur la structure et la fonction de ce neuropeptide. Ainsi, la structure peptidique exacte des kisspeptin synthétisés dans l’hypothalamus n’a jamais été décrite. La majorité des travaux de physiologie ont été réalisés par l’administration du peptide de 10 acides aminés qui est le peptide minimum pour stimuler KISS1R alors que le peptide placentaire est composé de 54 acides aminés. La structure d’un peptide peut largement déterminer la spécificité de l’activation des voies de signalisation intracellulaire. Celles-ci ont été peu caractérisées jusqu’à ce jour. Le récepteur peut être désensibilisé à très court terme mais également lors de stimulation chronique. Tous ces points nécessitent des travaux supplémentaires de recherche fondamentale mais également clinique pour apporter des réponses claires qui pourraient aider à mieux comprendre la physiologie du contrôle central de l’axe gonadotrope.
Ces travaux de génétique moléculaire ont également permis de reprendre des travaux anciens sur le contrôle de l’activité de l’axe gonadotrope in-utero dont notamment le dimorphisme sexuel de cette activité qui apparait à la fin du 1er trimestre de développement.
La neurokinine B : un modulateur du contrôle hypothalamique de l’axe gonadotrope. De nouveau, l’implication de la neurokinine B et de son récepteur dans le contrôle central de l’axe gonadotrope a été démontrée par une approche de génétique humaine (19). Le lien entre les mutations perte de fonction de ce couple ligand-récepteur est moins évident que pour le couple kisspeptin-KISS1R. Il existe clairement une association entre le CHH et des variants du récepteur TACR3 mais l’expressivité, voir la pénétrance de ces variants n’est pas complète. Le mode de transmission est également mal défini et dépend probablement de chaque variant. Sur le plan de la physiologie, l’administration d’un agoniste du récepteur TACR3 n’a pas un effet majeur sur la concentration plasmatique de la LH et cet effet est variable en fonction des espèces. Chez le rongeur et le mouton, les neurones du noyau arqué dits « Kisspeptines » synthètisent également la neurokinine B ainsi que la dynorphine qui a un effet inhibiteur sur les le réseau GnRH. Ces neurones KNDy pour Kisspeptin, Neurokinin et Dynorphin, participent au contrôle de la sécrétion de la GnRH par un double effet activateur et inhibiteur.
Les variants de TACR3 semblent plus fréquents dans les formes avec transmission oligogénique (3).
Globalement, les mutations de ces trois couples ligand-récepteurs expliquent la majorité des CHH familiaux avec transmission récessive notamment en cas de consanguinité des parents. Le phénotype est similaire bien que la sévérité du déficit gonadotrope soit moins marquée pour les mutations du couple Neurokinine B/TACR3. La prise en charge thérapeutique pourrait dépendre de l’étiologie moléculaire puisque les mutations de KISS1/KISS1R et TAC3/TACR3 justifient plus logiquement d’un traitement par pompe LHRH contrairement aux mutations de GnRHR.
Mutations perte de fonction dans des gènes codants pour des protéines participants à la migration des neurones GnRH.
Plusieurs gènes sont décrits dans ce groupe. Ces gènes codent majoritairement pour des protéines impliquées dans le développement des bulbes olfactifs. Elles ont donc été principalement décrites chez des patients atteints de syndrome de Kallmann. Le mode de transmission est variable. Récessif lié à l’X pour ANOS1 (KAL1), dominant pour le FGFR1 ou CHD7, majoritairement autosomal récessif pour les autres gènes (3). La sévérité du déficit gonadotrope est plus marquée pour les mutations d’ANOS1 qui ne concernent que les garçons.
Les mutations du FGFR1 sont hétérozygotes, transmises par le père ou la mère et rarement de-novo. Cette transmission dominante est expliquée par une variabilité importante de la sévérité du déficit gonadotrope qui permet parfois une fertilité subnormale, élément bien-sûr indispensable pour une transmission dominante. Les gènes modificateurs de l’expressivité du phénotype ne sont pas bien connus. Il s’agit parfois de variants rares dans les autres gènes candidat du CHH. Le FGFR1 participe au développement des neurones du bulbe olfactif via une probable interaction avec l’Anosmine codée par le gène ANOS1 et les heparan sulfate.
Des mutations sont également décrites dans les gènes PROK2 et PROKR2 qui sont indispensables au développement du bulbe olfactif. Le rôle exact de ces protéines n’est pas bien compris. Le mode de transmission peut être récessif ou dominant avec expressivité variable. Globalement, les mutations perte de fonction de PROKR2 et PROK2 avec effet majeur sur la structure de la protéine ou sa fonction ne sont pas moins présentes dans la population générale par rapport à ce qui est attendu en fonction du contexte nucléotidique et du statut de méthylation de l’ADN. Cela contraste avec les mutations non-sens ou avec décalage du cadre de lecture du FGFR1 significativement moins fréquentes dans la population générale que ce qui est attendu. Ces observations indiquent que la perte de fonction de PROKR2 peut être compensée par d’autres protéines contrairement à la perte de fonction de FGFR1.
Les mutations du CHD7 représentent une particularité. Ce gène est celui du syndrome CHARGE qui comprend notamment une agénésie des bulbes olfactifs et par conséquent un déficit gonadotrope. Dans le syndrome CHARGE, les mutations sont de novo. Elles sont supposées avoir un effet délétère fort sur la fonction de la protéine. Dans le syndrome de Kallmann par mutation de CHD7, les variants sont majoritairement transmis par un des 2 parents ce qui indique une fertilité conservée bien qu’altérée. Les autres signes du syndrome CHARGE sont rarement présents chez ces enfants ayant un syndrome de Kallmann par mutation de CHD7. Comme FGFR1, CHD7 est peu tolérant aux mutations perte de fonction avec effet fort.
D’autres gènes du CHH codent pour des protéines participant à la migration des neurones GnRH sans être impliqués dans le développement des bulbes olfactifs (3). Ces gènes étaient parfois connus pour leur fonction dans le neurodéveloppement tels que SEMA3A, d’autres non tel que IGSF10 (20). Il apparait que le nombre de cas pour chaque gène peut-être très limité dans un modèle de transmission monogénique.
Le déficit gonadotrope syndromique : un ensemble de gènes codant pour des protéines ayant des fonctions diverses.
Pendant de nombreuses années, l’attention était centrée sur le déficit gonadotrope isolé associé ou non à une agénésie des bulbes olfactifs. Le déficit gonadotrope combiné à un autre déficit hypophysaire était considéré comme une pathologie du développement de l’hypophyse. Il était connu depuis de nombreuses années que le déficit gonadotrope peut également être associé à des maladies neurodéveloppementales graves. Dans ces formes syndromiques le déficit gonadotrope n’est pas la priorité dans la prise en charge clinique d’où un certain manque d’interêt. Les gènes de ces syndromes ont progressivement été caractérisés ce qui a donné des résultats inattendus. Ainsi, des mutations perte de fonction du gène PNPLA6 ont été décrites dans quatre syndromes, le syndrome de Boucher-Neuhäuser, le syndrome de Laurence-Moon, le syndrome Oliver McFarlane et le syndrome de Gordon-Holmes (21). Un déficit gonadotrope est décrit dans tous ces syndromes dont l’hétérogénéité phénotypique n’est pas comprise. Le gène PNPLA6 code pour une enzyme, la « Patatin-like phospholipase domain-containing protein 6 » ou également connue comme « Neuropathy Target Esterase ». Cet enzyme participe au métabolisme des phospholipides membranaires. Elle est impliquée dans la croissance des neurites durant la différentiation des neurones. Le mécanisme du déficit gonadotrope dans ces syndromes est inconnu.
Le 4H syndrome associe une maladie de la substance blanche (hypomyelination), des agénésie dentaires (hypodontie) et un hypogonadisme hypogonadotrope. Les gènes du 4H-syndrome codent pour des sous-unités de l’ARN polymérase de type 3 (POLR3A, POLR3B) indispensables à la synthèse d’ARN non codants dont les ARN de transfert. Le mécanisme du déficit gonadotrope est inconnu. Exceptionnellement, le déficit gonadotrope est le signe évocateur de la maladie notamment lorsqu’il est associé à une scoliose importante et à une myopie.
Au-delà de ces syndromes bien caractérisées, certains phénotypes qui associent déficit gonadotrope et anomalies du neurodéveloppement ne sont pas typiques et suggèrent que de nouveaux mécanismes devaient être recherchés. Ce fut le cas pour un phénotype très spécifique décrit par les équipes hospitalières et INSERM de l’hôpital Robert Debré à Paris. Le tableau clinique observé dans cette famille associait une hypoglycémie dans les premiers mois de vie, le développement d’une ataxie d’origine cérébelleuse dans l’enfance associée à un retard mental, un diabète sucré puis un déficit gonadotrope révélé par un retard pubertaire. Ce syndrome est maintenant connu sous le nom « Polyendocrine Polyneuropathy Syndrome »(22). Ce phénotype était identique chez 3 frères nés de parents consanguins. L’analyse génétique a montré que les trois frères étaient homozygotes pour une délétion de 15 nucléotides sans décalage du cadre de lecture dans le gène DMXL2 qui code pour la rabconnectin-3a (22). Un long travail chez la souris a permis de confirmer que la perte de fonction de Dmxl2 était bien responsable d’un déficit gonadotrope par un mécanisme d’happloinsuffisance. De plus, il a été montré que le déficit gonadotrope était lié à un défaut de maturation des neurones GnRH tout en sachant que la perte de fonction de Dmxl2 dans les neurones GnRH ne suffit pas à reproduire le phénotype (23).
Une perte de fonction totale de la protéine codée par DMXL2 est responsable d’une épilepsie sévère résistante au traitement (Syndrome d’Ohtahara) (24). L’analyse moléculaire dans les fibroblastes de ces patients a montré une altération importante de l’autophagie avec une anomalie de la structure des autolysosomes ce qui pourrait être expliquée par une anomalie du contrôle du pH intralysosomal. En effet, rabconnectin-3a interagit avec des sous-unités de la V-ATPase qui contrôle l’entrée des protons dans les organelles intra-cellulaires et par conséquent le pH intra-vésiculaire.
Le PNPS est très similaire au syndrome micro de Warburg, il diffère principalement par la présence d’une cataracte congénitale chez les enfants ayant un syndrome micro de Warburg qui par ailleurs ne développent pas de diabète insulino-dépendant. Le syndrome de Warburg est dû à une perte de fonction totale des protéines RAB3GAP1 ou RAB3GAP2 qui sont des partenaires de rabconnectin-3a. Il est donc probable que le syndrome micro de Warburg soit également dû à une altération de l’autophagie.
La puberté précoce centrale : une maladie génétique plus complexe que prévu.
Le caractère familial de la puberté précoce centrale est bien établi. Environ, 25% des enfants ayant une PPC rapportent un apparenté au 1er ou au 2ème degré avec une PPC ou un début précoce de la puberté (4). L’analyse des arbres généalogiques de forme familiale de PPC indique des modes de transmission variables, majoritairement dominant mère-filles, parfois récessif ou bien suggérant un gène soumis à empreinte. En 2013, le groupe d’Anna Claudia Latronico a rapporté les premières mutations du gène MKRN3 chez plusieurs enfants PPC non apparentés (6). Ces mutations sont supposées perte de fonction. Nous avons caractérisé de nombreuses mutations de MKRN3 chez environ 20% des formes familiales de PPC (8). La fréquence des mutations de MKRN3 est par contre très faible dans les formes sporadiques. Le phénotype pubertaire des enfants mutés MKRN3 ne diffère pas du phénotype observé chez les enfants non mutés (8). L’âge de l’initiation puberté est très homogène chez les enfants MKRN3 mutés, autour de 6 ans chez les filles. Il est intéressant de noter que la puberté est plus précoce chez les filles MKRN3 mutées comparées aux garçons mutés ce qui indique que la perte de fonction de MKRN3 respecte le dimorphisme sexuel de l’âge de l’initiation de la puberté.
La PPC par perte de fonction de MKRN3 est donc une accélération de la maturation post-natale du réseau GnRH sans conséquence connue sur la fonction de reproduction à l’âge adulte. Plusieurs hypothèses sont actuellement proposées pour expliquer cette accélération.
Des mutations perte de fonction de DLK1 ont été caractérisées dans un petit nombre de cas familiaux de PPC (7). Le phénotype comprend également un surpoids ou une obésité. Le mécanisme de cette PPC est inconnu. Il est certain que ce gène est un candidat intéressant (25) car il est localisé dans le locus du syndrome de Temple qui est dû à une unidisomie maternelle du chromosome 14.
La recherche de nouveaux gènes associés à la PPC a été poursuivie par plusieurs équipes dont notre équipe. La stratégie suivie par plusieurs équipes consiste à analyser l’exome voir le génome selon un modèle monogénique.
Conclusion
La génétique des maladies de l’initiation de la puberté a fait des progrès considérables en 25 ans. De nombreux gènes ont été caractérisés ce qui permis une meilleure prise en charge des patients. Le conseil génétique a été amélioré notamment en cas de transmission dominante. Au-delà de la prise en charge clinique, ces travaux ont permis de mieux comprendre la physiopathologie de ces maladies. Une nouvelle classification peut être proposée en fonction du mécanisme moléculaire et cellulaire. Les travaux sur les formes syndromiques de retard pubertaire ont confirmé le lien étroit entre puberté et neurodéveloppement. Des avancées majeures dans la compréhension de la physiologie de l’initiation de la puberté ainsi que du contrôle hypothalamo-hypophysaire de la reproduction ont été découlées de ces travaux. La PPC est une accélération d’un processus neurodéveloppemental normal ce qui représente un mécanisme inédit en pathologie neurodéveloppementale. La description des mutations de MKRN3 a été une avancée majeure pour comprendre la génétique de la PPC. Les travaux récents de notre équipe montrent que la PPC est une maladie génétique complexe ce qui nécessite probablement de revoir la stratégie de l’étude du déterminisme génétique de la PPC.
Il apparait clairement que les cas sporadiques de déficit gonadotrope congénital ou de puberté précoce centrale reste largement inconnu et qu’on peut légitiment poser la question du modèle génétique voir s’il s’agit réellement d’une maladie génétique. Ces questions nécessitent de renforcer les interactions entre la recherche clinique et fondamentale en Neuroendocrinologie.
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