Nicole Gallo-Payet
Service d’endocrinologie, Faculté de médecine, Université de Sherbrooke, Sherbrooke, Québec, Canada
Comme notre président, je ne fais pas partie de la longue lignée des scientifiques que Jacques Benoît, le créateur de la Société de Neuroendocrinologie, a formée. En revanche, je m’inscris dans celle des fervents admirateurs de ce qu’il a fondé et des valeurs qui sont celles de cette société. Dès mon arrivée au Québec, j’ai senti le besoin de maintenir un cordon ombilical avec mes pairs scientifiques français. C’est naturellement vers la Société de Neuroendocrinologie que je me suis tournée. Des professeurs tels que Madame Andrée Tixier-Vidal, Messieurs Ivan Assenmacher et Claude Kordon, tous trois élèves de Jacques Benoît, et bien sûr notre président actuel, Hubert Vaudry, m’ont servi de modèles, tant sur le plan de la recherche que de la transmission d’un savoir qui transcende la science. Comme vous le constaterez au cours de cette lecture, chacun d’eux a marqué de son sceau un des aspects de ce qui a été développé dans mon laboratoire.
Pourquoi avoir quitté la France, La Rochelle et ses deux tours et l’Université de Poitiers ? Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point a dit Pascal (Pensées). J’ai accompagné l’élu de mon cœur à l’Université de Montréal, dans le cadre d’échanges France-Québec. Avec deux malles et des bourses du Ministère de l’Éducation du Québec et du Ministère des Relations Internationales, notre nouvelle vie a commencé. Avec les années, des liens de collaborations scientifiques solides et d’amitié indéfectibles se sont tissés.
Quel titre donner à ma lecture ? André Calas avait décidé du sien au long des stations de métro, moi ce fut dans le vol Paris-Montréal en septembre 2003. Ensuite quel contenu y mettre? J’y ai songé un an plus tard, encore durant un vol Montréal-Paris. Mes activités se situent au carrefour de deux disciplines et mon cœur balance entre les deux, comme il balance entre le Québec et la France. Ma conférence s’inscrit dans le cadre de ce 3ème colloque franco-québécois. C’est pourquoi j’ai choisi de vous présenter les principaux thèmes de recherche de mon laboratoire, en mettant l’emphase sur les travaux réalisés par des étudiants stagiaires français que j’ai accueillis et ceux de mes étudiants que vous avez accueillis dans vos laboratoires.
Cet exposé s’inscrit parfaitement dans la thématique de ce 32ème colloque. Presque toutes les présentations ont débuté par une illustration de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien en pointant la glande surrénale comme cible des effets de l’ACTH sur la sécrétion de cortisol. Néanmoins, les mécanismes d’action de l’ACTH sur la stimulation de la sécrétion de cortisol n’ont pas été abordés. Pendant ces quelque 50 min, je vais vous faire voyager au cœur de la glande surrénale et vous montrer que toute chose apparemment simple peut être très complexe, vous révélant ainsi pourquoi cette glande m’a fascinée et me fascine toujours.
Selon les définitions classiques, la glande surrénale est séparée en deux parties distinctes, à l’extérieur, la corticosurrénale, à l’intérieur, la médullosurrénale. La corticosurrénale fabrique des corticoïdes parmi lesquels le cortisol, l’aldostérone et les androgènes ; et la médullosurrénale fabrique l’adrénaline, déversée dans la circulation en cas de stress. Embryologiquement, les deux types cellulaires (corticosurrénale et médullosurrénale) sont différents. Le mésoderme a donné la corticosurrénale, le neurectoderme la médullosurrénale. La glande corticosurrénale est composée de trois zones : à l’extérieur, la partie glomérulée, la zona glomerulosa, fine, au milieu, la zone fasciculée, la zona fasciculata, la plus large, et au contact de la médullo-surrénale, la zone réticulée, la zona reticularis. La zone glomérulée va donner des minéralocorticoïdes (aldostérone), la zone fasciculée va surtout synthétiser des glucocorticoïdes, le cortisol (présent seulement chez l’Homme, le hamster et le bœuf) et la corticostérone, chez la plupart des autres espèces, et finalement, la zone réticulée produit cortisol et androgènes. L’hormone antéhypophysaire adrénocorticotropine (ACTH) contrôle le développement des zones réticulée et fasciculée, alors que la zone glomérulée en est indépendante.
Les zones du cortex sont issues d’une différenciation progressive. Les cellules naissent en périphérie, migrent et se différencient pour donner trois types cellulaires aux fonctions distinctes, mais toutes issues d’un type cellulaire unique, les adrénocytes. Les mécanismes impliqués dans cette différenciation sont encore très mal compris. Les cellules glomérulées présentent une grande plasticité : dotée d’une forte activité prolifératrice, elles sont aussi les plus différenciées car elles expriment le bagage enzymatique le plus complexe permettant la synthèse exclusive d’aldostérone. Un autre caractère surprenant et inexpliqué des cellules glomérulées est leur propriété d’exprimer plusieurs marqueurs neuroendocriniens : la protéine GAP-43, la tubuline beta3 et tau, des protéines typiquement neuronales. En situations quiescentes, c’est une région formée de 4 à 5 couches de cellules dont la disposition en glomérules autour d’un capillaire sanguin la distingue facilement des cellules de la zone fasciculée voisine, caractérisée par ses cordons cellulaires séparés par de larges sinusoïdes. Par contre, une déficience sodique triple le volume de la zone glomérulée, alors que l’hypophyse antérieure (par l’ACTH) contrôle le volume de la zone fasciculée.
Mes premières études, les années 75 : quels sont les facteurs contrôlant l’activité mitotique de la zone glomérulée ? Les candidats possibles : ACTH, alpha-MSH et angiotensine II. J’ai fait l’observation que des préparations de broyats hypophysaires stimulaient l’activité mitotique des cellules glomérulées. Des expériences subséquentes ont montré que l’hypophyse postérieure était responsable de ces effets et plus précisément l’hormone anti-diurétique, encore appelée vasopressine.
Quelques années et quelques publications plus tard, les études in vivo, puis in vitro, chez des cellules glomérulées en culture primaire, ont permis de montrer que la vasopressine stimulait non seulement la prolifération cellulaire, mais aussi les sécrétions de cortisol chez l’homme et d’aldostérone chez le rat et l’homme. Résultats qui ont fait plus d’un septique dans ces années 80, incriminant ces actions aux cellules en cultures, modèle non physiologique. Par la suite, plusieurs laboratoires confirmaient ces résultats, à la fois chez le rat ou d’autres espèces, telles le bovin, le chien, le mouton et l’homme.
Pour élucider rapidement le mystère du mécanisme d’action de la vasopressine, une collaboration avec le laboratoire de Serge Jard à Montpellier s’imposait. Ce fut le début des échanges fructueux entre nos deux laboratoires. Avec Gilles Guillon, nous avons établi la nature et les propriétés des récepteurs, de type V1a, les mécanismes d’action maintenant classiques, du couplage à la protéine Gq, qui activée, stimule la phospholipase Cbeta, induisant une cascade d’événements, maintenant bien connue. Ces réactions en chaîne mènent à la libération de calcium intracellulaire, un influx de calcium et l’activation de plusieurs kinases, qui finalement permettront la production de cortisol. Voici, résumé en quelques lignes, une synthèse de 10 années de collaborations (1).
Parallèlement à la vasopressine, deux autres hormones jouent un rôle important dans la physiopathologie de la glande cortico-surrénale : ce sont l’ACTH et l’angiotensine II. L’ACTH est essentielle à la synthèse du cortisol, bien que les livres de référence la décrivent comme stimulant peu la sécrétion d’aldostérone. Cependant, in vitro, en cultures cellulaires, l’ACTH se révèle comme le plus puissant stimulus de la sécrétion d’aldostérone. Etranges et fascinantes hormones que sont l’ACTH, l’alpha-MSH et les autres peptides de la famille des mélanocortines, dont les récepteurs ont nécessité la création d’une nouvelle famille dans la classe 1 des récepteurs couplés aux protéines G. Chez le rat, trois de ces peptides ont des récepteurs exprimés à la surface des cellules glomérulées. L’ACTH se lie à son récepteur MC2 et stimule la voie classique adenylyl cyclase/cAMP, mais selon une circuiterie assez complexe et sujette à de multiples régulations. De plus, les cellules glomérulées ont une sensibilité tout à fait particulière vis-à-vis le calcium et le potassium. De faibles variations de l’un et de l’autre stimulent ou inhibent la sécrétion aldostérone. Ainsi, contrairement aux neurones, une fenêtre de concentrations strictes de 3.5 à 10 mM de K+ stimule la sécrétion ; au-delà, il peut même y avoir mort cellulaire.
Alors a commencé l’étude des interactions étroites entre l’activité des canaux ioniques et celles des seconds messagers et des kinases intracellulaires. Ce fut la caractérisation des canaux potassiques, puis calciques et leur modulation par l’ACTH, un travail réalisé en grande partie par Thierry Durroux, qui avait fait son DEA à Montpellier et sa thèse à Sherbrooke. Ces travaux, de même que ceux des groupes de Bernard Dufy et Patrice Mollard à Bordeaux étaient parmi les premiers à caractériser les canaux ioniques de cellules endocrines. Par la suite, les échanges entre Sherbrooke, Montpellier et Paris avec les travaux de Eric Grazzini et Mylène Côté ont permis de caractériser les interactions entre voie calcique, voie cAMP, activation de diverses isoformes d’adenylyl cyclases et l’implication du cytosquelette dans ces actions (Figure 1) (2).
Figure 1: Mécanismes d’action de l’ACTH dans les cellules glomérulées de la glande surrénale. Pour plus d’informations, se référer au texte
Les nombreux examens histologiques lors des études de prolifération cellulaire avaient conduit à l’observation de la présence de travées de tissu chromaffine, se terminant dans la zone glomérulée, que nous avons appelé rayons médullaires. La présence de cellules chromaffines au niveau des cellules glomérulées fournissait une explication à la source des nombreux stimuli endogènes agissant sur la sécrétion d’aldostérone. Parmi ceux-ci le polypeptide activateur de l’adenylyl cyclase, PACAP, qui a marqué le début des échanges avec le laboratoire de Hubert Vaudry, dont une étudiante en co-tutelle de thèse, Lyne Breault et un stage post-doctoral pour notre regretté Vincent Contesse. Les travaux de trois laboratoires ont montré la présence de PACAP dans la médullo-surrénale et des récepteurs PAC1 sur les cellules chromaffines, le mécanisme original de régulation du calcium intracellulaire de façon cAMP-dépendente, les effets sur la libération des catécholamines, qui ensuite vont agir sur les sécrétions stéroïdes (3), confirmant ainsi la notion d’unité fonctionnelle médullo-corticale. Non seulement, les stéroïdes du cortex contrôlent la libération des catécholamines de la médullo-surrénale, mais la médullo-surrénale, un véritable hypothalamus local semble capable, via ses productions endogènes, d’agir de façon paracrine pour assurer une régulation fine de la synthèse et de la sécrétion d’aldostérone (4). Ces interactions ont trouvé un prolongement naturel vers un autre tissu cible commun à nos laboratoires, le cervelet.
Les travaux des dernières années montrent que la régulation de la signalisation intracellulaire est également très dépendante de l’environnement cellulaire. Ainsi, la nature des composants de la matrice extracellulaire, collagène, fibronectine pour ne citer que les plus importants, combiné à la nature des intégrines exprimées à la surface des cellules est responsable d’interactions hautement spécifiques avec la machinerie intracellulaire. Ces interactions impliquent le cytosquelette, les seconds messagers et plusieurs protéines regroupées sous le nom de protéines d’échafaudage. Ensemble, des associations très sélectives sont responsables de l’orientation de la réponse de la cellule vers une fonction de survie, mort cellulaire, prolifération, hypertrophie, sécrétion, contraction ou migration. L’élucidation de ces mécanismes d’interactions nous a conduits à réviser la notion que l’angiotensine II était un agent mitotique pour les cellules glomérulées. Nos résultats montrent plutôt que l’angiotensine II, dans la surrénale, agit comme dans les cardiomyocytes, en augmentant la synthèse protéique. La matrice de fibronectine, à elle seule, est responsable de la prolifération des cellules, à condition que soient exprimés les récepteurs appropriés, alpha5-beta1 ou alphav-beta3. Dans le cas contraire, les cellules vont entrer en apoptose (5).
D’autre part, corroborant la nature embryologique différente de la cortico-surrénale et de la médullo-surrénale, les études immunohistochimiques ou immunofluorescentes montrent en effet des expressions bien spécifiques pour certaines isoformes d’adenylyl cyclases et d’intégrines. Ainsi l’isoforme AC2 est présente dans les cellules glomérulées, mais absente dans les cellules chromaffines, au contraire de l’isoforme AC1, présente dans les cellules chromaffines, mais absente dans les cellules corticales. L’intégrine alpha3 est présente dans le cortex, mais absente dans la médullo-surrénale, alors que l’intégrine a1 est présente dans les rayons médullaires et le centre de la glande, mais absente dans le cortex (Figure 2, travail de Mylène Côté et Shirley Campbell). Non seulement de telles observations révélent des modulations d’expression différentielle entre les deux tissus, mais sont l’indice d’une fonctionnalité spécifique associée aux protéines adenylyl cyclases et sous-unités a des intégrines. L’élucidation des interactions matrice/intégrines fournira peut-être la clé du mystère entourant les processus de différenciation morphologique et fonctionnel des trois zones du cortex.
AC1 absente dans cortex, présente dans médulla AC2 présente dans cortex, absente dans médulla
Intégrine alpha 1 Intégrine alpha 3
Figure 2 : L’adenylyl cyclase AC1, dont l’activité est sensible au calcium, est absente dans les zones glomérulée et fasciculée, mais présente dans la médullo-surrénale, avec une forte expression dans certaines cellules. Au contraire, l’adenylyl cyclase AC2, dont l’activité est sensible aux sous-unités beta-gamma des protéines G, est présente dans le cortex surrénalien, mais absente dans la médullo-surrénale. L’intégrine alpha1, qui fait partie du complexe alpha-beta, récepteurs de la matrice extracellulaire, est absente dans le cortex, mais présente dans la médullo-surrénale. L’inverse est observé pour l’intégrine alpha3.
Conclusion :
Pour conclure, je dirais que ce sont les interactions entre la biologie cellulaire, l’électrophysiologie, la biologie moléculaire, l’histologie, la morphologie, si bien intégrée dans les colloques de la Société de Neuroendocrinologie, qui nous ont permis d’améliorer notre compréhension des mécanismes par lesquelles les hormones ACTH, angiotensine II et vasopressine, agissent sur leurs cellules cibles. Vous comprendrez que j’aimerais conclure sur l’importance de la glande surrénale pour le maintien de l’homéostasie générale. Un stress prolongé, une perturbation de la prise alimentaire entraînent des variations de sécrétions d’aldostérone, de cortisol et de leurs stimuli, ACTH et angiotensine II. A moyen et long terme se développent hypertension, obésité, maladies cardio-vasculaires et dépression. Cependant, peu de choses sont encore connues sur les mécanismes impliqués dans de telles perturbations. Encore un bel avenir pour la neuroendocrinologie surrénalienne.
Pour en savoir plus, quelques revues choisies :
1. Nicole Gallo-Payet et Gilles Guillon (1998). Regulation of adrenocortical function by vasopressin. Horm Metab. Res. 30:360-367.
2. Gallo-Payet N et Payet MD. (2003). Mechanism of action of ACTH. Beyond cAMP. Microsc Res Tech. 61:275-287.
3. Payet MD, Breault L, Bilodeau L, Fournier A, Yon L, Vaudry H et Gallo-Payet N. (2003) PAC1 receptor activation by PACAP-mediated Ca2+ release from a cAMP-dependent pool in human fetal adrenal gland chromaffin cells. J. Biol. Chem. 278:1663-1670.
4. Delarue C, Contesse V, Langlet S, Sicard F, Perraudin V, Lefebvre H, Kodjo M, Leboulenger F, Yon L, Gallo-Payet N et Vaudry H. (2001). Role of neurotransmitters and neuropeptides in the regulation of the adrenal cortex. Rev Endocr Metab Disord. 2:253-67.
5. Campbell S, Otis M, Gallo-Payet N et Payet MD (2004). Adrenal gland: Involvement of integrins, extracellular matrix and cytoskeleton in the functions of adrenocortical cells. Recent Res. Devel. Endocrinol. 4:115-140.