Résumé
Le travail avant terme et la naissance peuvent être retardés mais il n’est généralement pas possible de les interrompre sans menacer la santé du couple ‘mère-bébé’. Le déclenchement de ce processus ‘sans retour’ est dû aux signaux périphériques recrutant prématurément les neurones à ocytocine qui coordonnent le timing de la naissance et qui, grâce à leurs modalités spécifiques d’activité électrique et de sécrétion hormonale, déclenchent les contractions utérines. Une fois sensibilisés, ces neurones répondent, même à des faibles stimulations, par des vagues successives d’activité menant à une boucle de rétrocontrôle positif s’intensifiant jusqu’à la naissance qui devient alors inévitable.
Bébé “à bord” ?
La fin de gestation est une période importante pour la mère et son bébé. Le cerveau maternel et l’hypophyse s’adaptent pour réaliser plusieurs tâches, avant même de les avoir jamais expérimentées. Par exemple, les neurones neuroendocrines doivent, quasi simultanément, être capables de faciliter la naissance, d’initier le comportement maternel, et de contrôler la production de lait pendant la lactation. Le fœtus arrivé à terme subit également des changements spectaculaires puisque nombre de ses organes – incluant le cerveau et les poumons – continuent de se développer et poursuivent leur maturation au delà de la naissance. Ces changements doivent se produire lorsque le bébé est encore entièrement pris en charge par l’environnement maternel, car ils assureront une vie saine et sans risque après la naissance, même si le bébé reste encore dépendant de sa mère pendant plusieurs années. Sans ces adaptations coordonnées, la santé et le bien être du couple mère-bébé sont en danger, et une préparation inadéquate à la vie post-natale a souvent des conséquences néfastes. C’est particulièrement le cas lorsque la naissance survient prématurément.
Bébé “par dessus bord” ?
Depuis plus de 70 ans, les chercheurs savent que l’hormone ocytocine est déterminante pour assurer une naissance normale chez les mammifères, et ce processus a été particulièrement bien étudié chez les rongeurs. L’ocytocine synthétisée par les neurones magnocellulaires de l’hypothalamus est libérée par les terminaisons axoniques au niveau de la posthypophyse, directement dans la circulation sanguine. Lors de la parturition, cette libération s’effectue de manière pulsatile, par bolus (ou pulse) distincts qui déclenchent des contractions intermittentes du myomètre utérin facilitant ainsi la délivrance du fœtus. L’ocytocine est communément administrée aux femmes pendant le travail pour accélérer le processus de naissance, voire même pour surmonter un travail anormalement prolongé par le stress. Les pulses successifs de libération d’ocytocine sont déclenchés par un patron particulier de bouffées d’activité intermittentes, exprimé de façon synchrone par tous les neurones à ocytocine. Ces neurones sont eux-mêmes soumis à un mécanisme d’autocontrôle spécialisé, trouvant son essence dans une libération d’ocytocine par leurs dendrites. Cette ocytocine libérée localement, diffuse alors dans l’espace extracellulaire environnant et agit sur des autorécepteurs dont l’expression par les neurones s’accroit à la naissance. Cette même ocytocine joue également un rôle clef en effectuant un rétrocontrôle positif qui coordonne l’activité neuronale ; elle facilite sa propre libération dendritique, augmentant la sensibilité des neurones à ocytocine aux stimulations provenant de la périphérie.
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“Les pulses de libération d’ocytocine sont déclenchés par un patron particulier de bouffées d’activité…
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Boucle d’autocontrôle positif qui ne peut être interrompue lors du travail : la sensibilisation des neurones OT aux signaux provenant de l’utérus entraîne une sécrétion toujours croissante d’ocytocine et des contractions utérines, provoquant la naissance du bébé.
A terme, ce sont les signaux périphériques provenant de l’utérus gravide, du placenta et du fœtus, qui de toute évidence initient le processus de travail. Bien que le mécanisme intra-utérin exact mis en jeu pour initier le travail diffère selon les espèces, ce sont les contractions utérines préliminaires pendant la première phase du travail, qui semblent ‘mettre en marche’ le cerveau et les neurones à ocytocine en particulier. Ferguson, en 1941, fut le premier à décrire ce phénomène réflexe : les contractions utérines donnent lieu à des pulses sécrétoires d’ocytocine qui à leur tour provoquent des contractions utérines. Nous savons à présent, que la transmission nerveuse ascendante s’effectue en partie via les voies noradrénergiques du tronc cérébral, et que la noradrénaline libérée sur les neurones à ocytocine a non seulement un effet excitateur, mais joue un rôle dans les adaptations neurochimiques et morphologiques nécessaires à la genèse des bouffées d’activité. De façon surprenante, l’ocytocine libérée par les dendrites peut contrôler la libération de transmetteur par les terminaisons noradrénergiques, soit directement, soit par l’intermédiaire d’autres signaux locaux telles les substances endogènes de type cannabis (cannabinoïdes). De nombreux autres facteurs locaux sont vraisemblablement impliqués, mais l’ensemble des données souligne de façon incontestable le rôle majeur de l’ocytocine elle-même. Plus récemment, l’importance du contrôle exercé par l’ocytocine a été confortée par la découverte d’un mécanisme crucial contrôlant la concentration locale d’ocytocine, et qui émane des neurones à ocytocine eux-mêmes. En effet, ces neurones synthétisent également des enzymes spécialisés dans la dégradation de l’ocytocine, et comme cette activité enzymatique est physiologiquement régulée, elle peut alors moduler l’accès de l’ocytocine à son récepteur. Il reste cependant à déterminer si, comme dans l’utérus, une diminution de l’activité enzymatique favorise l’action de l’ocytocine, c’est-à-dire, si une réduction de la dégradation de l’ocytocine par les neurones facilite leur auto-excitation à la naissance.
Ainsi, ce sont les réseaux de neurones à ocytocine avec leurs afférences qui permettent, dans des circonstances normales, de programmer et assurer la naissance au moment approprié.
L’inévitable tsunami
Cependant, le travail avant terme (survenue de contractions utérines régulières accompagnées d’un début de maturation du col avant la date assignée) est fréquent (>12.5% dans les pays développés) et une fois déclenché, il est difficile de le contrecarrer au-delà de quelques jours. Le travail avant terme est associé à une activation prématurée et inappropriée du système à ocytocine qui induit alors des contractions utérines risquant de provoquer la naissance avant terme. Un enfant prématuré a plus de probabilité de présenter une morbidité et une mortalité accrues, ainsi que toute autre séquelle associée (faible poids, complications cardiaques, atteintes neurologiques…). Habituellement, les cliniciens essaient de retarder la naissance prématurée de manière à optimiser la physiologie maternelle et fœtale. Un des traitements les plus efficaces utilisé pour empêcher le travail avant terme est l’administration d’un antagoniste de l’ocytocine (Tractocile, recommandations courantes au Royaume Uni). Il s’agit d’un tocolytique efficace qui empêche temporairement les contractions utérines avec peu d’effets secondaires bien qu’il soit souvent nécessaire de l’administrer de façon répétée. Cependant il ne permet pas de retarder la naissance jusqu’au terme.
Plusieurs mécanismes périphériques peuvent également déclencher la contractilité utérine et le travail avant terme, notamment une activité inappropriée de facteurs utérins, telles les cytokines et prostaglandines. Alors, pourquoi est-il si difficile de retarder une naissance jusqu’au terme ? La raison pourrait en être le recrutement des neurones à ocytocine qui, une fois sensibilisés par les signaux périphériques initiaux, répondraient alors au moindre stimulus (notamment les contractions par les facteurs utérins et /ou les situations psychologiques activant des voies cérébrales parallèles, comme le stress). Il en résulte un rétrocontrôle positif allant toujours s’intensifiant, favorisant la sécrétion d’ocytocine par pulses d’amplitude croissante, ce qui amplifie inévitablement les contractions utérines et mène à la naissance. Ainsi, bien au-delà des mécanismes utérins qui soutiennent le travail, c’est l’activité cérébrale qui est cruciale dans le processus qui mène à la naissance. De ce fait, la recherche de molécules ciblant les mécanismes de sensibilisation des neurones à ocytocine pourrait constituer une voie d’intervention thérapeutique appropriée en cas de travail prématuré.
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Traduction :
Françoise Moos (laboratoire PsyNuGen, Université Bordeaux2, France)
Marie-Christine Lombard (EPHE, Paris, France)
Cette brève est produite par la British Society for Neuroendocrinology et peut être utilisée librement pour l’enseignement de la neuroendocrinologie et la communication vers le public
©British Society for Neuroendocrinology et Société de Neuroendocrinologie pour la traduction.