Résumé
Un certain nombre de données sont en faveur de l’idée saisissante selon laquelle la naissance de nouveaux neurones dans le cerveau adulte sous-tend d’une certaine manière les dépressions majeures. Bien qu’il existe des parallèles intrigants entre les facteurs qui régulent la neurogénèse dans l’hippocampe et ceux qui prédisent la dépression ou sa guérison, en l’état des données, il faut rester prudent même si le développement de thérapies plus efficaces reste envisageable.
La genèse d’une idée
Dès l’an 2000, Jacobs et ses collègues proposèrent dans le journal Molecular Pharmacology qu’une modification de la neurogénèse (la naissance de nouveaux neurones) dans une région particulière du cerveau adulte, l’hippocampe, pourrait sous-tendre soit le déclenchement, soit la guérison des dépressions majeures. Les dépressions, comme d’autres maladies mentales, ne sont diagnostiquées que sur des symptômes, l’un d’entre eux étant la réponse au traitement ! Le manque d’index diagnostic objectif, sans parler des causes toujours obscures de ces maladies, est un obstacle presque insurmontable en clinique mais également pour le développement de nouvelles stratégies préventives ou thérapeutiques de ces maladies très répandues et aux effets dévastateurs pour le patient comme pour son entourage. Ainsi, la suggestion que la neurogénèse soit impliquée pourrait représenter une nouvelle voie de recherches.
Neurogénèse dans le gyrus dentelé. Les cellules jaunes sont des progéniteurs en train de se diviser; les cellules vertes et bleues sont des neurones adultes (matures) et immatures, respectivement.
Comment une telle idée a-t-elle émergée ? De nouveaux neurones sont formés à partir de cellules progénitrices dans les couches internes du gyrus dentelé, une sous-région de l’hippocampe. Cette région tire son nom de sa forme qui rappelle celle du cheval marin et elle est fortement impliquée dans l’apprentissage et la mémorisation. Seule une moitié environ des nouveaux neurones survit mais ce sont ceux qui réussissent à se connecter dans les réseaux neuronaux préexistants chez l’individu adulte. Il est très important de noter que la neurogénèse est très fragile. Le stress et l’augmentation des corticoïdes la diminuent alors que l’exercice ou une hormone comme l’Insulin-like Growth Factor 1 (IGF-1) et, de manière plus intrigante, certains antidépresseurs, l’augmentent. L’hypothèse de Jacobs et ses collègues était largement basée sur ces observations puisque une élévation du cortisol et l’adversité sont des risques majeurs de dépression alors que l’exercice et les antidépresseurs accélèrent le rétablissement. Cependant, ces quatre facteurs affectent également de nombreuses fonctions du cerveau et leurs actions ne se limitent pas au gyrus dentelé.
Des antidépresseurs
Quid des données expérimentales ? Une observation majeure est que chez des souris invalidées pour le gène du récepteur sérotoninergique 5-HT1A, la neurogénèse, mais aussi le comportement, ne répond plus à la fluoxétine (“Prozac”), un antidépresseur de la classe des inhibiteurs de recapture de la sérotonine. Parallèlement, une destruction ciblée par la radioactivité des cellules progénitrices du gyrus abolit également les effets comportementaux des inhibiteurs de recapture de la sérotonine. Il reste cependant à montrer qu’une diminution de la neurogénèse est un élément causal de la dépression ou que cette augmentation de la neurogénèse sous l’effet des antidépresseurs est essentielle à leur action. Bien que l’action pharmacologique de ces drogues ne prenne que quelques heures, leurs effets cliniques ne s’observent que trois à quatre semaines après le début du traitement. Or, il faut environ 28 jours aux nouveaux neurones hippocampiques pour maturer et établir leurs connexions. Est-ce la base de leur réponse thérapeutique ? En fait, la fluoxétine ne stimule la neurogénèse hippocampique qu’au bout d’une quinzaine de jours. Ce délai de deux semaines reste aujourd’hui encore mystérieux.
Existe-t-il un ” modèle ” expérimental de dépression ? Il s’agit là d’un véritable problème. Les expériences comportementales les plus usuelles sont basées sur la mesure du ” renoncement ” . L’animal est mis dans une situation inconfortable. Initialement, il tente d’y échapper mais finalement, il abandonne. Ce comportement est qualifié de “désespoir”. Le temps que met l’animal à renoncer est la variable mesurée. Les antidépresseurs l’augmentent. De nombreux auteurs considèrent qu’ils induisent donc une “dépression” en utilisant de telles méthodes puisqu’il existe une bonne corrélation entre l’activité des antidépresseurs dans ces tests et en clinique. Mais “antidépresseur” n’est pas une bonne définition d’un agent pharmacologique comme la fluoxétine dont l’action est d’augmenter la sérotonine au niveau des synapses. La sérotonine est très largement distribuée dans de nombreuses régions du cerveau et influence parallèlement de nombreuses fonctions neuroendocriniennes ou comportementales sans rapport direct avec la dépression. En outre, une dépression réactionnelle prend des semaines voire des mois pour se développer alors que les tests chez les animaux ne durent que quelques heures. Enfin, pourquoi se focaliser sur le désespoir ? Il ne s’agit que d’un des symptômes. Il en existe d’autres comme l’adaptation ou l’apprentissage, tout aussi signifiants. Il est donc possible que les tests basés sur la mesure du renoncement aient atteints leurs limites ce qui expliquerait pourquoi aucun nouvel antidépresseur n’a été développé depuis plusieurs décennies. L’absence d’un “modèle” fiable de dépression est un handicap majeur pour affirmer le lien éventuel entre neurogénèse et dépression.
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…La résolution des scanners actuels n’est pas suffisante pour détecter des changements de neurogénèse pendant un épisode dépressif…
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Le lien au cortisol
L’hippocampe est-elle impliquée dans la dépression ? La plupart des données sur le contrôle des émotions mettent en avant d’autres régions cérébrales: l’amygdale et, chez les primates, le cortex orbitofrontal. Des polymorphismes dans le gène du transporteur de la sérotonine augmentent le risque de dépression lié au stress chez l’Homme et altèrent les réponses en imagerie de résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) dans ces deux régions. L’hippocampe est impliquée dans l’apprentissage spatial et contextuel et la mémoire épisodique chez l’homme. Des diminutions du volume hippocampique ont été décrites lors des épisodes dépressifs mais nul ne sait si elles les précèdent ou en sont les conséquences. La résolution des scanners actuels n’est pas suffisante pour détecter des changements de neurogénèse pendant un épisode dépressif, et il n’existe évidemment pas de données post-mortem sur pièce anatomique qui confirmeraient les corrélations attendues. La mémoire est altérée dans la dépression et une “rumination” excessive (répétition interne de pensées ou d’évènements négatifs) est un facteur prédictif de déclenchement chez les adolescents. L’hippocampe est hautement sensible au cortisol qui non seulement diminue la neurogénèse mais sensibilise les neurones pyramidaux à leur destruction. Le cortisol conforte également les souvenirs négatifs et une augmentation persistante des taux de cette hormone est un facteur de risque de dépression chez les adolescents comme chez les femmes adultes. Des polymorphismes dans le gène du Brain Derived Neurotrophic Factor (BDNF) sont également associés à un risque accru de dépression. Le BDNF et son récepteur sont hautement exprimés dans l’hippocampe et il augmente également la neurogénèse.
Alors, La neurogénèse hippocampique est-elle une voie majeure de recherche ou une fausse piste pour la thérapie des dépressions les plus graves? A l’heure actuelle, une réponse de normand s’impose. Les parallèles entre les nombreux facteurs qui régulent la neurogénèse hippocampique et ceux qui prédisent la dépression ou sa guérison restent vrais mais l’Etat de l’Art conduit à un scepticisme positif et un espoir prudent. Après tout, dans les dépressions bipolaires, il s’agit d’un tour sur le Grand-Huit pas en tricycle…
Traduction et adaptation:
Jacques Epelbaum, INSERM U894, Paris
Cette brève est produite par la British Society for Neuroendocrinology et peut être utilisée librement pour l’enseignement de la neuroendocrinologie et la communication vers le public.
©British Society for Neuroendocrinology et Société de Neuroendocrinologie pour la traduction.