Résumé
Les gènes soumis à empreinte génomique sont une catégorie de gènes de mammifères récemment découverts, dont certains sont impliqués dans le système neuroendocrinien. Alors qu’il reste encore un grand travail à accomplir, il est déjà certain que ces gènes vont apporter un éclairage nouveau à la compréhension de la génétique du contrôle neuroendocrinien. Elucider le lien entre les gènes soumis à empreinte et le fonctionnement neuroendocrinien a des implications pour la compréhension de la physiologie normale et de la pathologie, et pourrait apporter un argument supplémentaire à la théorie de la compétition des sexes dans l’évolution génique.
Les gènes soumis à empreinte génomique : des exceptions à la règle
Plus nous avançons dans la compréhension des mécanismes de la génétique moléculaire et plus celle-ci nous parait complexe. Les lois que Mendel a décrites à partir de ses expériences sur les petits pois ont certes jeté les bases de la génétique moderne, mais de plus en plus souvent nous trouvons des exceptions à ces règles. Parmi ces exceptions, l’empreinte génomique est l’expression variable d’un gène selon qu’il provient du père ou de la mère de l’individu qui les porte. Normalement, les deux exemplaires d’un gène sont exprimés, qu’il provienne du père ou de la mère. Cependant pour les gènes soumis à empreinte génomique, seul un exemplaire est exprimé, en raison d’une forme d’inactivation moléculaire impliquant la méthylation de l’ADN. Pour certains de ces gènes, c’est toujours l’exemplaire provenant du père qui est inactivé, pour d’autres, c’est celui de la mère. Actuellement, environ 40 de ces gènes sont connus, bien que l’on estime leur nombre total de l’ordre de 100 à 200. En dépit de leur faible nombre, ces gènes jouent un rôle physiologique important, dans le développement et la croissance.
Schéma montrant les différences entre un gène normal (a) et des gènes soumis à empreinte génomique (b, c). La copie héritée de la mère (M) et celle héritée du père (P) du gène a sont également exprimées, alors que seule la copie maternelle du gène soumis à empreinte b est exprimée. L’inactivation génomique peut se produire dans les deux sens, et inversement, seule la copie du gène soumis à empreint du gène c, héritée du père, est exprimée.
L’empreinte génomique et le système neuroendocrinien
Les gènes soumis à empreinte jouent un rôle important dans le développement du cerveau et dans les comportements, et le système neuroendocrien est une de leurs cibles importante. Ainsi, deux syndromes classiques impliquant des gènes soumis à empreinte génomique, le syndrome de Beckwith-Wiedeman et le syndrome de Prader-Willi (PW), comprennent des atteintes neuroendocriniennes, avec en particulier dans le syndrome de PW des atteintes sévères multiples, dues à une insuffisance hypothalamique. Ce syndrome comporte des troubles alimentaires, un gain de poids anormal, de la léthargie et une série de troubles du comportement. Ces deux syndromes sont dus à des anomalies affectant respectivement des régions du chromosome 11 et du chromosome 15, contenant plusieurs gènes. Dans l’état actuel de nos connaissances, il est encore difficile d’attribuer à un gène particulier les anomalies neuroendocriniennes décrites dans ces syndromes.
La souris comme modèle : le chromosome 2
Des arguments plus précis pour confirmer le rôle des gènes soumis à empreinte génomique dans le système neuroendocrinien viennent de travaux effectués sur des souris. Une région particulièrement intéressante est située sur le chromosome 2. Les premiers travaux étaient consacrés à des souris comportant soit deux copies du chromosome 2 originaires du père soit deux copies originaires de la mère, ce que l’on appelle une disomie monoparentale. Le phénotype de ces animaux était “opposé”: ceux qui héritaient leurs gènes du père étaient hyperactifs, ceux qui les héritaient de la mère étaient hypoactifs et avaient des difficultés à téter. Les deux types d’animaux mourraient quelques jours après la naissance.
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…leurs petits ont pris moins de poids…
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Plus récemment, on a précisé la nature des gènes impliqués par des techniques d’invalidation génique et de manipulation moléculaire. Deux gènes exprimés dans le cerveau ont été identifiés. La fonction du premier, Nesp (Neuroendocrine Secretory protein) n’est pas claire. Le second, Gnas, code la sous-unité alpha d’une protéine Gs qui permet la transduction du signal de nombreux neuromédiateurs, peptides et hormones vers l’intérieur de la cellule. La version humaine de ce gène est aussi soumise à empreinte et les mutations de ce gène entraînent le syndrome d’ostéodystrophie héréditaire d’Albright.
Des mères dépourvues des gènes ” PEG “
Il est possible de produire des cellules embryonnaires de souris issus de femelles (parthénogenèse) ou de mâles (andrénogenèse), correspondant donc à des embryons uniparentaux. Des méthodes de criblage systématique, utilisant l’hybridation soustractive des ARN messagers provenant de tels embryons uniparentaux, ont révélé de nouveaux gènes soumis à empreinte. Les gènes PEG 1 et 2 (Paternally Expressed Genes) sont exprimés dans tout le cerveau, mais à des niveaux particulièrement élevés dans l’hypothalamus. Des études d’invalidation on montré qu’ils jouaient tous les deux un rôle important dans le comportement maternel. Des souris femelles hétérozygotes, qui ont hérité le gène invalidé PEG1 du père, sont incapables de répondre à leurs petits et de les retrouver. Ces femelles sont aussi incapables de construire un nid et de manger le placenta (placentophagie), un comportement normal chez les mammifères au moment de la parturition.
L’invalidation de PEG3 a un effet similaire sur les capacités de la mère à s’occuper de ses petits, mais a aussi un effet sur la lactation. Non seulement ces femelles ont mis plus longtemps à trouver la bonne position pour allaiter, mais leurs petits ont pris moins de poids malgré un temps normal passé à téter. L’étude histologique des femelles hétérozygotes, qui avaient hérité du gène invalidé de leur père, révéla une structure normale de la glande mammaire mais un déficit en neurones à ocytocine dans l’hypothalamus. Une diminution de cette hormone pourrait expliquer une baisse de la production de lait, malgré une glande mammaire normale.
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Les gènes paternels tendent à favoriser l’accès aux ressources pour l’individu…
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La bataille des sexes
Une théorie particulièrement attrayante, bien que non exclusive d’autres hypothèses, est d’expliquer l’existence des gènes soumis à empreinte par une compétition entre les gènes des deux parents. Les gènes paternels tendent à favoriser l’accès aux ressources pour l’individu qui les porte, alors que les gènes d’origine maternelle produisent plutôt l’effet inverse, celui de diminuer les besoins et de les répartir ainsi équitablement entre les portées et entre les individus de la portée. Il est possible que dans un cadre évolutif, le système neuroendocrinien, avec son répertoire de comportements et de réponses physiologiques capables d’intervenir directement dans l’accès aux ressources, joue un rôle fondamental dans cette ” bataille des sexes “.
Traduction :
Christian Andrès, INSERM U619, Tours
Cette brève est produite par la British Society for Neuroendocrinology et peut être utilisée librement pour l’enseignement de la neuroendocrinologie et la communication vers le public.
©British Society for Neuroendocrinology et Société de Neuroendocrinologie pour la traduction.