Résumé
Le stress, en libérant des hormones gluco-corticoïdes, affecte le cerveau et particulièrement une région appelée hippocampe qui possède de nombreux récepteurs de ces hormones. Un stress chronique ou une sécrétion exagérée de glucocorticoïdes affectent défavorablement l’hippocampe en diminuant les connexions entre cellules nerveuses et en produisant des troubles de la mémoire. Les personnes âgées sont particulièrement vulnérables à ce processus dégénératif. Quels sont les événements qui sous-tendent ces troubles majeurs et y a-t-il des moyens pour empêcher la perte avec l’âge de la capacité à apprendre et à mémoriser?
La cascade hormonale
Nous savons intuitivement que le stress est mauvais pour nous et particulièrement pour notre santé mentale et notre bien-être. Mais comment cela ? Récemment une série d’études a suggéré que les hormones peuvent être des médiateurs importants des effets délétères du stress sur le cerveau. Une des conséquences majeures du stress, qu’il soit physique (comme une grave maladie, un traumatisme ou la fuite devant un lion) ou psychologique (tel qu’un discours en public, un deuil ou une maladie mentale) est l’activation d’une région du cerveau appelée l’hypothalamus. Celle-ci déclenche une cascade hormonale : axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien, conduisant à la libération par la glande surrénale d’hormones glucocorticoïdes (cortisol, corticostérone), qui agissent à leur tour sur une grande variété de tissus. Cette réponse est à l’évidence cruciale à court terme pour rendre l’organisme capable de survivre au stress. Les glucocorticoïdes augmentent la pression sanguine et la disponibilité des principaux carburants métaboliques de l’organisme et le mettent ainsi dans les meilleures conditions pour échapper à la menace physique ou psychologique. En même temps, les glucocorticoïdes inhibent les processus non essentiels tels que l’inflammation, la croissance et la reproduction. À l’évidence, ces ” affaires ” peuvent être entreprises de façon plus sûre quand on a échappé au lion ou après que l’amphithéâtre se soit vidé. Tandis que ces réponses sont bénéfiques à court terme, un stress chronique ou un excès de glucocorticoïdes entraînent une série d’effets généraux délétères incluant myopathie, ostéoporose, hypertension, diabète, problèmes reproductifs et infections. Il n’est pas surprenant que les glucocorticoïdes aient aussi des effets puissants sur le cerveau, particulièrement sur l’hippocampe, qui est non seulement une région cruciale pour l’apprentissage et la mémorisation, mais aussi un centre important pour le feed-back inhibiteur des glucocorticoïdes sur leur propre libération.
Fragilisation neuronale
L’hippocampe présente la plus haute densité en récepteurs pour les glucocorticoïdes dans le cerveau. À ce niveau, des taux faibles de glucocorticoïdes sont essentiels pour maintenir la fonction et la survie des cellules nerveuses. Au contraire, un excès de glucocorticoïdes interfère avec le fonctionnement de l’hippocampe en interrompant les processus synaptiques critiques qui sous-tendent l’apprentissage et la mémoire. Bien plus, les glucocorticoïdes interfèrent aussi avec la capture de glucose par les neurones hippocampiques, les rendant ainsi vulnérables à d’autres agressions telles que le manque d’oxygène, la perte de l’apport sanguin (lors des attaques) ou les crises d’épilepsie. Une telle fragilisation neuronale a été associée avec des altérations de la structure des cellules nerveuses, entraînant la perte de leurs connexions essentielles avec les autres cellules. Finalement, et en particulier quand d’autres processus pathologiques interviennent, tels qu’une attaque ou que le vieillissement, les neurones de l’hippocampe peuvent mourir en présence d’un excès de glucocorticoïdes.
Expression du récepteur aux glucocorticoïdes dans l’hippocampe du cerveau humain. La couleur jaune indique des niveaux élevés d’expression du gène dans les régions du gyrus denté (dg) et de la corne d’Ammon (ca).
Pertes de mémoire
Si ces découvertes sont intéressantes à l’échelle cellulaire, sont-elles applicables au cerveau normal ? Récemment il est apparu qu’approximativement un tiers des animaux et des personnes humaines âgées développe un syndrome composé de la triade suivante: niveau excessif de glucocorticoïdes, déficiences dans l’apprentissage et la mémorisation hippocampiques et altérations de la structure des neurones de cette région, pouvant aller jusqu’à la mort neuronale. Le rôle des gluco-corticoïdes dans ce processus a été illustré il y a plus de vingt ans par des expériences dans lesquelles leurs taux ont été maintenus à bas niveau la vie durant par l’ablation des glandes surrénales. Un tel traitement a largement empêché l’apparition avec l’âge des déficits mnésiques et la perte des cellules nerveuses de l’hippocampe. De même des manipulations réalisées au début de la vie (manipulations néonatales, soins maternels) qui maintiennent ces taux hormonaux à bas niveau toute la vie, sont aussi associées avec la prévention des défauts de mémoire liés à l’âge. De façon plus convaincante, des données récentes montrent que, lors du vieillissement des populations humaines normales, les individus dont les taux de corticoïdes s’élèvent avec l’âge présentent des pertes de mémoire et un rétrécissement de l’hippocampe (montré grâce à l’imagerie par résonance magnétique). Au contraire, les individus dont les taux de glucocorticoïdes sont bas ou déclinent avec l’âge, maintiennent leur capacité à apprendre et à mémoriser de nouveaux faits et leur hippocampe ne diminue pas avec le vieillissement.
Thérapie humaine ?
Les deux interventions mentionnées plus haut afin de maintenir les glucocorticoïdes à bas niveau, l’ablation des surrénales ou la manipulation néonatale, sont peu applicables en thérapie humaine. La surrénalectomie est à l’évidence impossible pour traiter un grand nombre de sujets humains afin d’empêcher, au mieux, une minorité d’avoir des troubles de mémoire de nombreuses années plus tard. Bien plus, si quelques données suggèrent qu’il existe une programmation dans la petite enfance des niveaux de glucocorticoïdes chez l’homme, sa date précise au cours du développement et le type de manipulation requis pour l’établir ne sont pas connus. Les implications éthiques de telles interventions “à vie” posent des problèmes, même s’il était possible d’assurer qu’un traitement particulier de la grossesse ou des soins au nouveau-né pourrait être ” meilleur ” pour leur cerveau 70 ans plus tard.
Néanmoins, des études néonatales ont suggéré que si l’on pouvait augmenter le nombre des récepteurs aux glucocorticoïdes dans l’hippocampe, le cerveau serait plus sensible au feed-back négatif de ces hormones. Cela provoquerait en effet un freinage de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien et les taux de glucocorticoïdes seraient maintenus à bas niveau. En fait, des données très récentes suggèrent qu’un simple traitement par les antidépresseurs peut augmenter les récepteurs aux glucocorticoïdes de façon sélective dans l’hippocampe, empêchant peut-être ainsi l’apparition de déficits mnésiques avec l’âge. Un tel traitement avec des drogues existantes et généralement bien tolérées pourrait être plus approprié pour des sujets humains en milieu de vie, suggérant la possibilité de thérapie en vue de prévenir le vieillissement du cerveau associé aux glucocorticoïdes. Nous sommes à un moment clé de la recherche et un travail crucial doit être réalisé à présent pour définir si des traitements aussi simples et relativement acceptables sont efficaces dans des populations humaines vieillissantes.
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Traduction :
André Calas, UMR 7101 CNRS, Université Pierre et Marie Curie, Paris
Cette brève est produite par la British Society for Neuroendocrinology et peut être utilisée librement pour l’enseignement de la neuroendocrinologie et la communication vers le public.
©British Society for Neuroendocrinology et Société de Neuroendocrinologie pour la traduction.