Résumé
Au cours de l’évolution, les mâles et les femelles ont été programmés pour jouer des rôles très distincts et des différences sexuelles marquées sont observées dans la structure et le fonctionnement de leur cerveau. Ces différences résultent de l’exposition, au début de la vie, aux hormones stéroïdes gonadiques, testostérone et oestrogènes, et elles ont ultérieurement des implications profondes en psychologie et en pathologie.
Sexe et cerveau
Les différences entre les sexes sont un sujet persistant de fascination qui a inspiré de nombreuses oeuvres d’art et de littérature, qui est au coeur de notre psychologie et qui sous-tend la structure même de la société. Hommes et femmes montrent de profondes différences dans leur physiologie et, dès l’enfance, dans leur comportement. En moyenne, les garçons ont de meilleures performances dans les tâches spatiales et le raisonnement mathématique tandis que les filles témoignent d’une plus grande rapidité perceptive et sont meilleures dans le raisonnement verbal. Enfin, matière à réflexion, ce sont les hommes qui commettent 80 % des meurtres et 99 % des crimes sexuels.
Différents, pourquoi ?
Ce sont des différences sexuelles dans le cerveau qui sont supposées sous-tendre ces dissemblances. De fait, quand on examine les cerveaux mâle et femelle, on remarque des différences dans la taille des diverses régions cérébrales, dans le nombre des cellules nerveuses, dans les patrons des connexions synaptiques et dans la distribution des neuromédiateurs. Par exemple, une différence sexuelle frappante s’observe dans ce que l’on appelle le noyau sexuellement dimorphique de l’hypothalamus, qui est deux fois plus gros chez les mâles que chez les femelles. Une région du noyau supra-chiasmatique contient deux fois plus de neurones chez l’homme jusqu’à la cinquantaine ; puis la différence s’inverse, et finalement elle disparaît complètement. Les mâles et femelles utilisent même différentes régions de leur cerveau : dans les tests verbaux les femmes utilisent des régions de leurs deux hémisphères cérébraux tandis que les hommes utilisent presque entièrement le gauche. De façon intrigante, on commence à identifier les différences entre les cerveaux des hommes homosexuels et hétérosexuels, avec des variations dans la taille de quelques régions cérébrales.
Différents, comment ?
Au cours de la petite enfance on pense que les hormones ” organisent ” le cerveau. Mais comment ces différences sexuelles se produisent-elles ? La réponse semble être liée aux différences spectaculaires d’exposition du cerveau aux hormones gonadiques -testostérone et oestrogènes- au cours de l’enfance. Les mâles sont exposés à des niveaux élevés de testostérone secrétée par leurs testicules et qui montrent plusieurs pics : au début de la vie embryonnaire, juste après la naissance et à nouveau à la puberté. Les femelles, au contraire, se développent en l’absence de ces niveaux élevés de testostérone.
Figure : Le nombre des cellules nerveuses dans le noyau sexuellement dimorphique de l’hypothalamus du cerveau du rat est déterminé par les effets ” organisateurs ” de la testostérone dans la période périnatale. À la puberté et pendant la vie adulte, testostérone et oestrogènes agissent sur des structures sexuellement différenciées comme celle-ci pour ” activer ” de façon appropriée des comportements différents. L’insert montre une section frontale de cerveau du rat avec l’hypothalamus contenant le noyau sexuellement dimorphique situé entre la commissure antérieure (ac) et le chiasma optique (opc).
Ce n’est que récemment que l’on a commencé à comprendre comment ces deux hormones gonadiques agissent pour masculiniser ou féminiser le cerveau. Précocement, on pense que les hormones ” organisent ” le cerveau, essentiellement en mettant en place l’ensemble des circuits cérébraux en tant que mâle ou femelle. Plus tard dans la vie, elles ” activent ” ces circuits spécifiques du sexe pour susciter les comportements caractéristiques, mâles ou femelles. Chez le rat, où la plupart des recherches ont été réalisées, cette ” organisation ” dépend de façon cruciale de l’exposition aux hormones, à la fois dans les périodes pré- et postnatale. Paradoxalement, la masculinisation de nombreux aspects du cerveau du rat est contrôlée par l’hormone femelle oestrogène qui est synthétisée à l’intérieur du cerveau par conversion de la testostérone, donnant en quelque sorte une ” super-dose ” d’oestrogènes. Dès lors que la phase d’organisation péri-natale est achevée, le sexe cérébral est fixé définitivement et requiert simplement à la puberté les deux hormones sexuelles appropriées pour activer le comportement correspondant.
Ce processus qui a été bien mis en évidence chez le rat, se produit probablement aussi chez l’homme quoique, curieusement, l’exposition postnatale aux hormones puisse être relativement plus importante. Cela présente un intérêt particulier parce qu’il deviendrait possible que des facteurs environnementaux et des stimuli sociaux, connus pour affecter le taux des hormones gonadiques, altèrent également la différenciation sexuelle du cerveau. Testostérone et oestrogènes affectent divers processus cellulaires pour entraîner cette différenciation: la synthèse des protéines, la division et la migration cellulaires, la croissance neuronale, le branchement axonal ou les remodelages synaptiques. De façon fascinante, un des mécanismes les plus significatifs par lequel les hormones gonadiques influencent le cerveau pourrait être de provoquer le suicide de certaines cellules tout en permettant à d’autres de survivre.
Neurochimie sexuelle
L’une des pistes de recherche les plus stimulantes à propos des différences sexuelles dans le cerveau est l’étude de la différenciation des systèmes de neuromédiateurs en fonction du sexe, afin de comprendre le fonctionnement cérébral qui lui est spécifique:
– on peut cartographier les circuits qui utilisent des neurotransmetteurs spécifiques et, par là, commencer à construire des relations structure – fonction.
– on peut visualiser comment les systèmes de neurotransmetteurs se modifient sous l’influence des hormones sexuelles et corréler avec des modifications du comportement
– on peut altérer les taux de neuromédiateurs et observer les effets produits.
De nombreuses maladies cérébrales montrent des différences sexuelles marquées, par exemple l’autisme, la schizophrénie et la maladie d’Alzheimer. Beaucoup de ces maladies ont été associées avec une modification de l’équilibre de certains neuromédiateurs. Ces disparités sexuelles suggèrent un rôle important pour les hormones gonadiques dans l’étiologie de ces maladies. De fait, on a récemment montré que les oestrogènes protégeaient les cellules contre des changements soupçonnés d’un lien causal avec la maladie d’Alzheimer, tandis que de faibles taux d’oestrogènes étaient associés à un risque accru de schizophrénie. La compréhension des influences, tant d’organisation que d’activation, des hormones gonadiques sur les systèmes de neuromédiateurs impliqués dans ces maladies, pourrait constituer un chemin fructueux vers leur traitement et leur guérison.
Traduction:
André Calas, UMR 7101 CNRS, Université Pierre et Marie Curie, Paris
Cette brève est produite par la British Society for Neuroendocrinology et peut être utilisée librement pour l’enseignement de la neuroendocrinologie et la communication vers le public.
©British Society for Neuroendocrinology et Société de Neuroendocrinologie pour la traduction.